Chalut

Le chalut est le filet traîné par le chalutier. Il a une forme caractéristique en entonnoir, prolongé à l'ouverture par des ailes pour en élargir la portée. Il peut être tracté par un seul ou par deux navires (on parle alors de « chalutage en bœuf », expression évoquant une paire de bœufs tirant une charrue). Le chalut est traîné par des câbles appelés « funes ». Il est fermé à son extrémité (le « cul de chalut ») par un cordage dit « raban de cul ». Un système combiné de panneaux, de chaînes (lest) et de lièges ou flotteurs plus techniques (dans le cas de la pêche dans les grands fonds) permet de maintenir béante son ouverture et d'en régler la forme et la profondeur. La dimension des mailles varie des ailes jusqu'au cul de chalut. Elle a été réglementée pour mieux sauvegarder les juvéniles.

Chalut étalé sur le quai, derrière le portique d'un petit chalutier.

Le sondeur permet de maintenir le filet entre la surface et le fond et de le placer face à un banc de poissons grâce au sonar. Le sondeur sert à connaître la hauteur d'eau sous le bateau, la qualité des fonds et éventuellement à détecter les bancs de poissons. Il ne sert en aucun cas à maintenir le chalut à une certaine profondeur. Le sondeur de « corde de dos » (ralingue supérieure du chalut portant les flotteurs), couramment désigné du terme anglais netsonde, permet de connaître les distances séparant le chalut du fond et de la surface. À ce moment on agit sur la longueur de câbles (funes) filée afin d'ajuster le niveau du chalut par rapport à celui du banc de poissons. On peut également agir sur la vitesse du navire dans le même but.

Le chalutier peut traîner son chalut entre deux eaux (chalutage pélagique) ou sur le fond (chalutage de fond).

En ancien français, le « chalon » était « une espèce de filet qui se traîne dans les rivières, par le moyen de deux petits bateaux auxquels il est attaché. »[1]. Réglementé en France, son usage sans autorisation était sévèrement puni (ordonnance de Colbert).

Histoire du chalut

Dans sa monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle, Pline l'Ancien évoque déjà l'existence du targula[Où ?], une sorte de filet de pêche qui était traîné sur le fond marin. En Europe, les premières références au chalutage apparaissent au XVIIIe siècle : Duhamel de Monceau décrit les chaluts et critique leur impact sur le milieu. Le chalutage semble être né de l'évolution de la technique de la senne de plage et de la drague.[réf. nécessaire]

Alors que les pêcheurs de La Rochelle utilisent depuis des générations des filets appelés dreige ou drague, ces derniers leur valent la visite d'un inspecteur des pêches en 1727, notamment en raison du fait que l'usage de la drague a été interdit en avril 1726 par le roi Louis XV en raison des ravages qu'elle occasionnait sur la reproduction des poissons. Les filets n'ont cependant rien à voir avec la drague destructrice du même nom, et dont l'usage est prohibé, et le , le roi en autorise donc l'usage, à la condition que le filet porte le nom de « rets traversier » ou « chalut ». Les chaluts ressemblant aux chaluts actuels sont quant à eux représentés à partir de 1772. Jusque dans les années 1960, le chalut était filé puis viré par le côté à bord des chalutiers dits "classiques" qui n'existent plus. Ils sont remplacés par des chalutiers dits de "pêche arrière".[réf. nécessaire]

Types de chalut

Chalut pélagique

Le chalut pélagique permet de pêcher les poissons de pleine eau, c'est-à-dire entre la surface et le fond, sans être en contact avec lui. Les chaluts pélagiques sont surtout employés pour la capture des poissons « bleus » (sardines, anchois, maquereaux, thons). Les merlus et cabillauds sont des gadidés vivant plutôt sur les fonds, et donc capturés par des chaluts de fonds.

Il peut y avoir confusion avec des chaluts dits « Naberan » qui sont des chaluts-bœufs de fond à très grande ouverture. Ces chaluts sont de grandes dimensions avec une grande ouverture afin de capturer le plus de poissons possible, mais à une faible vitesse de chalutage[2].

En 2008, un rapport de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer conclut à des captures accidentelles de cétacés de l'ordre de 400 individus par an pour le chalutage pélagique en bœuf[3].

Chalut de fond

Chalut de fond.

Comme son nom l'indique, ce chalut est placé à proximité du fond[4]. Les espèces ciblées sont dites « benthiques » (par exemple : cabillaud, lieu noir, merlan, aiglefin…).

Des chaluts spéciaux permettent depuis les années 1980 une pêche industrielle des poissons abyssaux : grenadiers (divers genres et espèces de poissons de la famille Coryphaenoides), empereurs, lingue bleue, lingue blanche, sabres (diverses espèces appartenant au genre Trichiurus).

Il y a trois façons de tenir un chalut ouvert lorsqu'il pêche :

  1. avec une poutre fixée sur deux patins : chalut à perche. Le haut du filet (le dos) est fixé sur une poutre de bois ou de métal. Le bas du filet, lesté d'une chaine, est fixé en bas des patins et traîne sur le fond. L'ouverture du chalut n'est pas très grande : largeur de 3 à 6 m, hauteur selon la hauteur des patins. C’est le type le plus ancien, encore utilisé par les crevettiers, qui peuvent en trainer plusieurs à la fois, et dans quelques autres pêches (poissons plats type sole en Hollande par exemple). On peut en voir au port de Dunkerque, par exemple, ainsi qu'en Guyane, etc. Une seule fune suffit pour tirer un tel chalut.
  2. avec des panneaux. De chaque côté du filet (sur les « ailes »), on fixe une large plaque de bois ou de métal qui va travailler à la façon d'un cerf-volant, mais « à l'envers », c’est-à-dire que lorsque le bateau avance, la pression de l'eau va le faire descendre. Il faut régler soigneusement l'incidence des panneaux pour qu'ils s'écartent bien, descendent bien ensemble, effleurent le fond sans s'enterrer ni au contraire soulever le chalut. Le dos du chalut est soulevé par des flotteurs, le bas est lesté par une chaine que l'on munit de rouleaux si le fond est rocheux, pierreux, etc.
  3. entre deux bateaux. voir section suivante.

Des chaluts permettent depuis les années 1980 une pêche des poissons d'eaux profondes : grenadiers (divers genres et espèces de poissons de la famille Coryphaenoides), lingue bleue, lingue blanche, sabres (diverses espèces appartenant au genre Trichiurus).

Chalut-bœuf

Le chalut-bœuf (Pair trawling pour les anglophones) est traîné par deux bateaux[5]. La manœuvre en est plus délicate mais il permet d'avoir de très gros chaluts dont la gueule est bien plus largement ouverte. Les chalutiers embarquent alternativement les prises. Ils sont par exemple utilisés par les pêcheurs de la Turballe et de Saint-Jean-de-Luz en France ou dans les pays scandinaves. C'est le mode de pêche qui capture le plus de cétacés en Manche où il est utilisé pour la pêche au bar.

Seul le Royaume-Uni a assuré un suivi indépendant, sur plusieurs années, des prises de cétacés par chalut en bœuf, démontrant un niveau des prises accessoires dépassant les seuils critiques pour le chalutage pélagique en bœuf en Manche. Lors de la saison 2003/2004, 169 dauphins communs ont ainsi été tués dans les chaluts (bœufs) anglais de cette zone (pour un total estimé de 439 dauphins pris pour tout le Royaume-Uni cette année-là). La France assurant environ 5/6 de cette pêche, une extrapolation des taux de prises anglais donnerait un total d'environ 2 600 animaux tués en un an en France. Sur ces bases, le gouvernement britannique a demandé en 2004 la fermeture de cette pêche (en mesures d'urgence de la PCE). Cette demande a été refusée par l'Union européenne (UE)[6].

Ce chalutage est particulièrement efficace sur les espèces démersales. Dans les eaux, où le bruit d'un seul navire peut disperser les poissons, deux navires avançant de concert tendent à rabattre le poisson dans l'axe du filet, permettant des captures souvent considérablement supérieures à celles atteintes par le chalutage de fond. Le chalutage en bœuf ciblant le cabillaud au large de la côte de la Nouvelle-Angleterre ont rapporté en moyenne par navire de pêche, des captures de trois à six fois plus élevées qu'avec des chaluts simples[7].

Pêche électrique

Des chaluts spéciaux, encore expérimentaux, équipés de générateurs d'impulsion électrique[8] capables de choquer les poissons ou les crevettes (ce qui les décolle du fond) sont testés (dans le cadre de dérogation spéciales en Europe) depuis la fin du XXe siècle, avec des impacts écologiques réels ou potentiels encore discutés[9].

Accidents possibles

Le principal danger est « la croche » : le chalut butte contre un obstacle : rocher, épave, conteneur coulé. Le filet va se déchirer, les funes peuvent être très tendues et se rompre, le navire peut gîter exagérément, voire chavirer. Autre danger pour l'équipage : les panneaux sont très lourds et peuvent blesser[10]. Il arrive aussi qu'à la mise à l'eau, le filet entraîne un homme à la mer.

Exceptionnellement un sous-marin peut se prendre dans le chalut ou l'accrocher et entraîner le chalutier vers le fond. Ce genre d'accident est l'une des hypothèses de travail pouvant expliquer le naufrage du chalutier breton Bugaled Breizh de Loctudy.

Enfin le chalut peut avoir pêché des macrodéchets toxiques ou dangereux et en particulier un voire plusieurs engin explosif mines voire des munitions immergées. Il existe de nombreux dépôts de munitions immergées volontairement ou munitions perdues à la mer depuis le début du XXe siècle. Ces munitions sont dispersées et fragilisées par les chaluts.

Depuis les années 1990, plusieurs pêcheurs en mer Baltique ont été brûlés par de l'ypérite en rejetant à la mer des munitions non explosées datant de la Première Guerre mondiale trouvées dans leurs filets. Plusieurs centaines de sites, au large de l'Europe sont ainsi pollués par des séquelles de guerre. Sur nombre d'entre eux (et en particulier sur le Paardenmarkt en Belgique, la pêche est strictement interdite, mais les interdictions ne sont pas toujours respectées et lors des tempêtes ou tsunamis de forts courants marins peuvent localement faire rouler des obus ou torpilles sur le fond et les rendre accessibles.

Impacts environnementaux

Surexploitation

Dès le XVIIIe siècle, la raréfaction des poissons commence à inquiéter dans l'Atlantique européen[11], et le médecin Tiphaigne de La Roche, qui dresse le constat de mers européennes « épuisées » accuse directement les « filets traînants », qui dégradent l'environnement et empêchent donc durablement les populations de poissons de se reconstituer[12]. Ce constat est repris quelques années plus tard par le naturaliste Henri Louis Duhamel du Monceau dans sa « Dissertation sur ce qui peut occasionner la disette du poisson principalement de mer »[13], mais à l'époque la principale réponse apportée sera d'étendre le rayon d'action des navires et de développer les pêches profondes, australes ou outre-mer[14].

Le chalut a ainsi fortement contribué à la raréfaction de la ressource par surexploitation, en effet ces derniers assurent aujourd'hui 50 % des captures mondiales[15]. L'Organisation des Nations unies (ONU), l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le monde scientifique ont depuis les années 1990 maintes fois alerté au sujet de cette surexploitation. Cette situation ne s'améliore pas au niveau mondial[16], depuis 2011 plus de 80 % des stocks de poissons sont pêchés au maximum ou au-delà de leur capacité. Ces appels ne semblent que rarement ou tardivement entendus des pays qui contribuent le plus à la surpêche[17],[18], d'autant plus quand ils concernent des zones de haute mer. Faute d'accord sur les conditions d'exploitation et les modalités du contrôle de cette pêche les initiatives individuelles sont difficiles à concrétiser : la Nouvelle-Zélande qui voit ses stocks de poisson s'effondrer depuis 20 ans, a pris l'initiative d'une réunion internationale visant à créer une organisation régionale d'administration des pêches, à Renaca (Chili). En 2007, cette ORAP regroupant 26 pays a décidé de mettre en place un moratoire sur la pêche au chalut de fond (à partir du ) en haute mer, et uniquement dans le Pacifique sud. Malheureusement, la Russie, dont une flotte de pêche opère dans la zone, a refusé de respecter cette interdiction[19]. Une étude faite dans les années 1990 à l'ouest de l'Angleterre sur des poissons vivant en profondeur en bordure du plateau continental montre que la réduction de leur biomasse à la suite de la pêche au chalut se fait très rapidement (en quelques années), mais d'une manière plus ou moins marquée selon d'espèce (dans ce cas par exemple l'hoplostèthe orange (Hoplostethus atlanticus) semble avoir plus rapidement et fortement décliné que le grenadier de roche Coryphaenoides rupestris[20].

Sélectivité et prises accessoire

Si cette technique est très efficace pour capturer de grandes quantités d'organismes marins, sa sélectivité est variable, mais en général médiocre[21], surtout pour les chaluts de fond. Ce fort taux de capture non ciblé pose un grave problème de gestion : les pêcheurs sont tentés de rejeter les espèces dont le quota est déjà atteint ou la taille trop faible et de conserver celles dont le quota n'est pas encore atteint ou la taille suffisante. Étant donné la mortalité quasi totale après un trait de chalut ces prises ne peuvent être comptabilisées en contrôlant les poissons débarqués, entrainant une sous-évaluation chronique de la pression de pêche. Pour obtenir des données plus fiables l'embarquement d'observateurs des pêches indépendants sur les navires est la seule solution efficace. Ces dernières années le programme d'observateurs embarqués Obsmer[22] en France a enfin permis de collecter des chiffres fiables : les plus grands navires (supérieurs à 18 m) rejettent une fraction importante (de 20 à 36 %), les chalutiers plus petits rejettent jusqu'à 50 % de la biomasse capturée, certains métiers du chalutage s'alignent avec les palangriers pour les fractions rejetées les plus faibles (inférieures à 5 %), comme les chalutiers à lieu noir ou espèce démersale en Ouest Écosse et mer du Nord, et les chalutiers pélagiques bœuf ciblant les thons en Atlantique, ou les dorades et bars en Manche et sud mer du Nord. Cette dernière pêche pose d'autres problèmes : les bars capturés au chalut pélagique en hiver sont effet regroupés pour la reproduction, ces prises massives, parfois plusieurs dizaines de tonnes en un coup de filet, effondrent le cours du poisson qui finit alors en farine (prix de retrait) et pourrait rapidement provoquer une surexploitation de l'espèce[23]. Les chalutiers d'espèces profondes rejettent 20 % de leur capture. L'UE a fixé un objet de 5 % de capture accessoire, ce que certains pêcheurs français jugent irréaliste[24]. Les caractéristiques des chaluts sont strictement encadrées par la réglementation communautaire, qui rend obligatoire, le cas échéant, des dispositifs sélectifs spécifiques (ex: panneaux de mailles carrées, grilles rigides) pour épargner des espèces ou des tailles spécifiques d'organismes marins. Pour autant l'efficacité de ces dispositifs n'est pas parfaite[25] et imposer leur usage est difficile[26], notamment quand il affecte le rendement économique des bateaux[27].

Destruction des habitats sous-marins

Au-delà de la biomasse capturée, le chalut de fond est aussi responsable de blessures ou mortalités sur de nombreuses espèces de fond, et d'une dégradation répétée du fond marin lui-même[28] : de nombreuses études mettent en évidence les dommages physiques et écologiques causés sur les habitats des fonds marins.Les structures biogéniques et géologiques comme les coraux, les éponges, les tubes de vers, les récifs de bivalves, les champs de rochers, les récifs, fournissent aux espèces benthiques des refuges et augmentent leur taux de survie.
Le chalutage du fond dégrade ou détruit ces structures complexes, réduisant massivement la biomasse benthique, au détriment de la pêche elle-même. Ces changements sont pour partie irréversibles à court et moyen terme car ces récifs mettent plusieurs milliers d'années à se former et se peupler. C'est ainsi que les bancs récifaux d'huitre plate (Ostrea edulis L.) qui existaient encore au 19e siècle dans les eaux tempérées de la mer du Nord notamment devant la côte belge sur des fonds sablo-vaseux sur « un cordon ininterrompu de bancs naturels qui s'étendaient depuis la surface jusqu'à 50 m de profondeur, le long des côtes européennes occidentales depuis la Norvège jusque la France »[29] ont totalement disparu en quelques décennies[29].

En outre les pêcheurs savent que les cadavre et animaux blessés par un premier passage attire d'autres poissons (ou mammifères marins) qui viennent s'en nourrir. Un second passage est souvent plus fructueux mais contribue encore plus à l'épuisement des stocks : des expériences faites dans le golfe du Saint-Laurent ont montré qu'une heure après le passage d'une drague à coquille, la concentration en poissons sur les traces augmentait de 3 à 30 fois[30].

Le chalut de fond remet en outre en suspension des sédiments entretenant une turbidité défavorable à certains organismes fragiles. L'effet de ces sédiments remis en suspension est à l'origine de la disparition progressive des récifs coralliens d'eau froide en Suède[31]. Aujourd'hui il est difficile de nier l'impact négatif du chalutage sur les fonds marins et leur richesse biologique. Les équipements de pêche perdus ou abandonnés par les chalutiers représentent 70 % des déchets plastiques flottant à la surface des mers[32].

Émissions de gaz à effet de serre

Une méta-analyse de 2017 a montré que la pêche au chalut émettait beaucoup plus de gaz à effet de serre que la pêche sans chalut et l'aquaculture à faibles intrants[33].

Labels environnementaux

La certification de pêcheries au chalut par des labels environnementaux tels que le Marine Stewardship Council (MSC) est contestée par des scientifiques[34],[35].

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • F Theret (1993), Thèse : Étude de l'équilibre des surfaces réticulées placées dans un courant uniforme. Application aux chaluts ; résumé cat.inist.fr

Références

🔥 Top keywords: