Il vit en exil à Bruxelles dès 1815, par prudence, puis du fait de la loi de 1816 sur la régicide de janvier 1793 sur Louis XVI et mai 1793 sur Marie-Antoinette (Femme du roi). Il rentre en France après la révolution de Juillet et l'avènement de Louis-Philippe (lui-même fils du régicide Philippe-Égalité).
Le 16 juin, il propose que le Tiers état se proclame « Assemblée des représentants de la Nation connus et vérifiés », mais Jacques-Guillaume Thouret s'y oppose.
Le 17 juin, le Tiers état se déclare Assemblée nationale. Le 20 juin, les députés du Tiers prononcent le serment du Jeu de paume (donner une constitution à la France).
Lors de la séance royale du 23 juin, il lance : « Vous êtes ce jour ce que vous étiez déjà hier », formule éclipsée par celle de Mirabeau[3].[pas clair]
Le 9 juillet, le roi reconnaît l'Assemblée nationale comme « Assemblée nationale constituante » et ordonne aux députés du Clergé et de la noblesse de s'y joindre.
Période de l'Assemblée constituante (9 juillet 1789-21 septembre 1791)modifier le code
Le 4 août, Sieyès est en désaccord avec l'Assemblée sur le point de la suppression de la dîme, impôt dévolu à l'Église. Par la suite, il n'accepte la nationalisation des biens du clergé qu'à la condition que l’État subvienne au traitement des prêtres, à l'entretien des écoles, des hôpitaux et des établissements de charité.
Élu président de l'Assemblée en juin 1790, il travaille à la rédaction de la constitution, mais essuie plusieurs échecs, sur la question du veto ou de la seconde chambre[3].
Il est également membre de la société des Amis des Noirs, fondée par Jacques Pierre Brissot, qui milite pour l'abolition progressive de l'esclavage, la fin immédiate de la traite des Noirs et l'égalité des hommes de couleur libres y compris dans les colonies. Après l'annonce à Paris de l'assassinat à Saint-Domingue du mulâtre Vincent Ogé, il s'engage avec conviction dans le débat colonial qui a lieu en mai 1791 et aboutit au vote d'un décret partiellement égalitaire le 15.
Mais membre du club des Feuillants dans le nouveau contexte politique conservateur de la tentative de fuite du roi (21 juin 1791), il s'absente prudemment le 24 septembre lorsque le député du Dauphiné fait révoquer le décret du 15 mai. Brissot, ancien fondateur de la Société des Amis des Noirs lui reproche dans son journal le Patriote Français puis dans ses Mémoires posthumes publiés dans les années 1830, de s'être rendu coupable d'"une faiblesse pour ne pas dire plus" [4].
Période de l'Assemblée législative (21 septembre 1791-août 1792) et de la transitionmodifier le code
Comme tous les membres de la Constituante, Sieyès est exclu de la Législative. Cette période est marquée par le conflit entre factions monarchistes et factions républicaines, le Club des jacobins étant désormais partisan de la République, ainsi que les sans-culottes parisiens.
l'insurrection républicaine du 10 août, l'incarcération de Louis XVI, la dissolution de la Législative, qui décrète l'élection au suffrage universel d'une nouvelle constituante : la Convention.
Période de la Convention girondine (21 septembre 1792-2 juin 1793)modifier le code
Sieyès est élu le 8 septembre 1792 député à la Convention nationale pour les départements de la Gironde, de l'Orne et de la Sarthe. Il opte pour ce dernier département.
Dans l'assemblée, il siège sur les bancs de la Plaine, mais soutient les positions de la Montagne lors du procès du roi, où il vote la mort sans appel au peuple ni sursis (20 janvier).
Il est absent lors du vote sur la mise en accusation de Marat et du vote sur le rétablissement de la Commission des Douze.
Élu au Comité de constitution, il en démissionne. S'étant heurté à Barère au Comité de défense, il opte pour le Comité d'instruction. Lorsque Lakanal présente, en juin 1793, un rapport restreignant l'enseignement primaire, Robespierre, qui défend le plan de Lepeletier de Saint-Fargeau dénonce ce projet en affirmant qu'il se méfie de son véritable auteur, désignant Sieyès sans le nommer. Il le surnomme « la taupe de la Révolution ne cessant d'agir dans les souterrains de l'assemblée »[3].
Il vit au n° 273, rue Saint-Honoré, non loin d'autres révolutionnaires comme Robespierre[5].
Il est élu à la commission des vingt-et-un chargée d'examiner la conduite des membres des deux comités de gouvernement durant cette période, se chargeant personnellement de Barère.
Élu à la Commission des Onze qui doit préparer la constitution[3], il prononce, le 2thermidoran III (), un discours resté célèbre au cours duquel il propose la mise en place d'un jury constitutionnaire, premier projet d'un contrôle étendu de la constitutionnalité des actes des organes de l'État.
Élu quatrième des cinq directeurs le 10brumairean IV (), il refuse cette fonction, de même que le poste de ministre des Affaires étrangères, par antipathie à l'égard de Reubell et de Barras, et par opposition à une constitution qu'il ne juge pas viable[3].
Nommé membre de l'Institut à sa création, il ne revient sur la scène politique qu'à l'occasion de la réaction qui suit l'affaire du camp de Grenelle : il est élu président Conseil des Cinq-Cents le 1erfrimairean V ().
Inquiet des menées royalistes, il se rapproche du Directoire et approuve le coup d'État républicain du 18 fructidor an V[3].
Lors des élections de 1798, il l'emporte dans l'Aube et les Bouches-du-Rhône à la suite d'une scission dans les assemblées électorales. La première est invalidée, la seconde validée, par la loi du 22floréalan VI ().
Mais il ne siège pas, ayant été nommé par le Directoire ambassadeur à Berlin le . Durant cette mission de moins d'un an (du au ), il parvient à maintenir la neutralité de la Prusse, mais ne parvient pas à obtenir son alliance contre l'Autriche (19 floréal)[3].
Auréolé de cette ambassade, il est réélu député dans l'Indre-et-Loire le 17germinalan VII () et entre, le 17 mai au Directoire en remplacement de Reubell. Tout le monde est conscient qu'il n'a accepté la charge de directeur que dans le but d'œuvrer à la révision de la constitution[3].
Sieyès dans le coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre 1799)modifier le code
Un délai de neuf ans étant nécessaire pour aboutir à la révision, ses partisans optent pour un coup d'État.
À la recherche d'« une épée », Sieyès pense l'avoir trouvée dans le général Joubert, qu'il fait nommer commandant en chef en Italie, mais il est tué à la bataille de Novi.
Effrayé par les progrès des néo-jacobins, il fait remplacer Bernadotte, qu'il juge trop lié à la gauche, au ministère de la Guerre et nommer Fouché au ministère de la Police. De plus, il considère Masséna, victorieux à Zurich, et Brune, victorieux en Hollande, comme des jacobins, et se méfie de Barras[3].
Le retour d'Égypte de Bonaparte, dont il a signé la lettre de rappel en juillet sans le croire possible, lui donne l'occasion de mettre en œuvre son projet. Conformément aux plans, lors du coup d'État du 18 Brumaire, il démissionne de son poste de directeur et entre dans le consulat provisoire incluant Bonaparte, Sieyès et Ducos. Mais le général a d'emblée l'ascendant sur ses deux collègues. Dans les discussions qui suivent, il rejette les propositions de Sieyès sur la « jurie constitutionnaire » et le poste de grand électeur que celui-ci se réservait[3].
En échange, Sieyès obtient la charge de sénateur[7], la propriété d'un des grands domaines nationaux et 200 000 livres de rente[3].
Du Consulat à la monarchie de Juillet (1800-1836)modifier le code
Benjamin Constant dit de lui : « Personne jamais n'a plus profondément détesté la noblesse »[9].
Le baron Ernest Seillière relève chez Sieyès une exhortation à l'opposition entre le tiers état, vu comme d'origine gallo-romaine, contre l'aristocratie, décrite comme étant d'ascendance germanique[10] (franque) ; Sieyès proposait de « renvoyer dans les forêts de la Franconie toutes ces familles (nobles) qui conservaient la folle prétention d'être issues de la race des conquérants et de succéder à leurs droits »[11]. Il faut cependant voir qu'il prenait en cela au mot les prétentions de théoriciens des droits de la noblesse comme Sainte-Pallaye, qui ont promu à la fin de l'ancien régime une vision de plus en plus essentialiste de l'origine du second ordre[réf. nécessaire].
Il oppose le gouvernement représentatif (qu'il promeut) et le gouvernement démocratique (qu'il rejette) :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. »
« Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Sieyès est alors vu en science politique comme un contradicteur des théories de Jean-Jacques Rousseau : alors que Rousseau se prononçait pour la démocratie directe et fustigeait le modèle représentatif britannique, Sieyès, moins confiant dans le peuple que Rousseau, choisit de défendre le système représentatif. Dans le système représentatif, le peuple élit des représentants munis d'un mandat représentatif qui, eux, décident des lois qui s'appliquent, alors que la démocratie directe suppose que le peuple décide des lois qui lui sont appliquées et que les délégués qu'il élit lui sont soumis par des mandats impératifs. La doctrine juridique parle souvent de « souveraineté nationale » pour qualifier l'idée de Sieyès de gouvernement représentatif en l'opposant à celle de « souveraineté populaire », celle de démocratie directe, soutenue par Rousseau puis revendiquée par l'aile gauche du parti des Jacobins, celle dite des Montagnards dirigée par Robespierre, lequel avait surnommé Sieyès « la Taupe de la Révolution ».
Sieyès, de plus, s'est montré favorable au bicamérisme, mais il soutenait un bicamérisme différent de ceux britannique et américain ; il réclamait un bicamérisme pour éviter une dictature d'assemblée, sans chambre haute donc. Il a soutenu cette idée déjà dans des propositions pour la Constitution du 3 septembre 1791. Ce sont ses idées en plus de celles de Bonaparte qui servent à concevoir la Constitution de 1799 instituant le Consulat. Ainsi, Sieyès est souvent considéré comme un précurseur de la Révolution du fait de son ouvrage Qu'est-ce que le Tiers-état ?, mais aussi comme celui qui a déclenché le coup d’État mettant fin à la période révolutionnaire.
Sieyès était partisan du suffrage capacitaire. Il considérait que le vote est une fonction et que par conséquent seuls les individus ayant les capacités (intelligence, niveau économique) d'exercer cette fonction doivent y participer.
Dans un manuscrit, Sieyès forge le néologisme « sociologie » une cinquantaine d'années avant Auguste Comte. Sous sa plume, le terme reste peu conceptualisé, et pris dans le souci de développer un « art social » : la connaissance positive de la société doit servir à la gouverner[13]. Il est également l'un des premiers à utiliser le terme "science sociale"[14].
« L’objet du physicien, déclarait Sieyès, c’est d’expliquer les phénomènes de l’univers physique. Puisque cet univers existe indépendamment de lui, le physicien doit se contenter d’observer les faits et d’en démontrer les rapports nécessaires. Mais la politique n’est pas la physique, et le modèle de la nature ne s’applique pas aux affaires humaines." Pour Sieyès, la société est une construction artificielle, un édifice ; la science de la société devrait donc être, à proprement parler, une architecture sociale.
De même que le jeune Marx devait reprocher à la philosophie hégélienne d’interpréter le monde, sans montrer comment le changer, de même le jeune Sieyès rejeta très tôt l’idée selon laquelle la seule tâche du philosophe serait d’énoncer les faits sociaux.
Sa critique avait d’abord pris pour cible le despotisme des faits sur les principes, qu’il décelait dans la physiocratie. À la veille des États Généraux, il trouva une nouvelle cible dans l’approche historique adoptée par les disciples de Montesquieu et dans leur vénération, leur « extase gothique » pour le modèle de la constitution anglaise[15]. »
— Keith Michael Baker, Condorcet. Raison et politique.
Sieyès participe activement aux travaux de la Convention sur la réforme de la carte administrative, et il propose d'adopter un découpage de la France en carrés de 5 km de côté pour les communes, et de 50 km de côté pour les départements.
Son nom est toujours associé à ceux de Fouché et de Talleyrand dans « le brelan de prêtres » (expression ironique de Carnot).
Il est mis en scène par Honoré de Balzac dans Une ténébreuse affaire où Henri de Marsay fait le récit du complot contre Napoléon auquel Sieyès participe : « Fouché connaissait admirablement les hommes; il compta sur Sieyès à cause de son ambition trompée, sur monsieur de Talleyrand parce qu'il était un grand seigneur, sur Carnot à cause de sa profonde honnêteté »[16]. Un personnage portant ce nom est également présent dans l’œuvre La dernière campagne du Grand Père Jacques, d'Émile Erckmann, où il est cité comme créateur d'une constitution[17].
Stendhal cite Sieyès dans son roman Le Rouge et le Noir au début du chapitre XII : « On trouve à Paris des gens élégants, il peut y avoir en province des gens à caractère ». Aussi dans chapitre XXVI : « Qui empêchera l'homme supérieur de passer de l'autre côté, comme Sieyès ou Grégoire! ».
Vues sur les moyens d’exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789.
Des Manuscrits de Sieyès. 1773-1799 et 1770-1815, tome I (576 p.) et II (726 p.), publiés sous la direction de Christine Fauré, avec la collaboration de Jacques Guilhaumou, Jacques Valier et Françoise Weil, Paris, Champion, 1999 et 2007.
Jérôme Mavidal (Éditeur scientifique), Émile Laurent (Éditeur scientifique) et al., Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, Paris, P. Dupont, (BNF34057622)
Les papiers personnels d'Emmanuel-Joseph Sieyès sont conservés aux Archives nationales sous la cote 284AP[18].
Jacques Guilhaumou, Sieyès et l'ordre de la langue : l'invention de la politique moderne, Paris, Kimé, coll. « Philosophie, épistémologie », , 235 p. (ISBN2-84174-283-0, présentation en ligne).
Jacques Guilhaumou, Cognition et ordre social chez Sieyès. Penser les possibles, Paris, Kimé, coll. « Philosophie en cours », 2018, 288 p.
Simone Barriere, Albert Ciamin, Jean Destelle, Marie-Dominique Germain, « Les origines de l'abbé Sieyès » et Frédéric d'Agay, « La Famille Sieyès », Annales du Sud-Est Varois, tome XIV, 1989, p. 99-108.
Frédéric d'Agay,« Siéyès (Joseph Barthélémy) », Grands notables du Premier Empire : notices de biographie sociale. Var, Louis Bergeron et Guy Chaussinand-Nogaret (dir.), Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 160-162.
Frédéric d'Agay, « Ambition et pouvoir autour de la cathédrale de Fréjus : Des Camelin à l’abbé Siéyès » Provence historique, n°259, 2016, p. 169-183. Article numérisé.
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