Prison de Saidnaya

prison militaire syrienne, près de Damas

La prison de Saidnaya (en arabe : سجن صيدنايا, Sajn Ṣaydnāyā) est un lieu de détention situé à Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas, en Syrie[2]. Au cours de la guerre civile syrienne, des milliers d'opposants au régime syrien y trouvent la mort, sous la torture ou exécutés par pendaison[3]. La prison est alors qualifiée d'« abattoir humain », ou de « camp d'extermination », où seraient morts environ 30 000 détenus entre 2011 et 2018, essentiellement des prisonniers politiques[3],[4].

Prison de Saidnaya
(ar) سجن صيدنايا
Image de l'établissement
Localisation
PaysDrapeau de la Syrie Syrie
RégionGouvernorat de Rif Dimachq
LocalitéSaidnaya
Coordonnées 33° 39′ 54″ nord, 36° 19′ 43″ est
Géolocalisation sur la carte : Syrie
(Voir situation sur carte : Syrie)
Prison de Saidnaya
Architecture et patrimoine
Construction
Installations
TypePrison
Capacité5 000 à 20 000[1] places
Fonctionnement
Date d'ouverture1987

Administration

Saidanaya, subordonnée au ministère de la Défense, est gérée par la police militaire sous tutelle directe de la division du renseignement militaire des services de renseignement syriens[5].

En 2022, un rapport de l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saidnaya (ADMSP), publie un rapport détaillant les chaînes de commandement de la prison, liant directement ses responsables aux branches 227 et 293 des services de renseignement syriens, du ministère de la défense, à la Cour de justice militaire et diverses institutions du régime syrien[6],[7].

Les lieux

La prison est située à Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas, en Syrie[2]. Construite en 1987[1], elle est divisée en deux bâtiments ; dans le premier, blanc et en forme de L, se trouvent les soldats détenus pour manque de loyauté envers le régime ; le second, rouge et en forme d'étoile à trois branches, est réservé pour les civils opposants au régime[8],[9]. La prison est prévue pour détenir 5 000 personnes, mais au cours de la guerre civile syrienne, de 10 000 à 20 000 personnes peuvent y être détenues en même temps[1],[10].

Amnesty international et Forensic Architecture enquêtent pour représenter et modéliser l'intérieur de la prison, d'après des recoupements de témoignages et images satellites, qui aboutit à une visite virtuelle des lieux, auxquels les ONG n'ont jamais eu accès[11],[12],[13],[14],[15].

En 2017, les États-Unis, après comparaisons de photographies satellites du lieu indiquant la modification d'un bâtiment du complexe militaire, accusent le régime syrien d'avoir probablement construit un incinérateur qui serait une « tentative de cacher l'étendue des meurtres de masse perpétrés à Saidnaya »[16],[17].

D'anciens détenus témoignent également de l'existence, dès 2013, de deux cellules remplies de sel, surnommées les saloirs, servant de morgues improvisées en l'absence de chambre froide, « pour répondre au rythme des tueries perpétrées ». Des détenus sont parfois mis dans ces pièces, en compagnie de cadavres[18].

Libération de leaders islamistes

Au début de la révolution syrienne, le , le régime syrien relâche 260 prisonniers politiques de Saidnaya[19], répondant, selon RFI, à l'une des principales revendications de l'opposition[20]. Selon Abdel Karim Rihaoui, président de la Ligue syrienne de défense des droits de l'homme, il s'agit en grande majorité d'islamistes et de 14 kurdes[19],[21],[22],[23],[24]. Pour Abdel Karim Rihaoui, il s'agit d'un « bon début », mais Basel al-Jounaydi, dans un article paru sur le site d’étude de la révolution syrienne « Al-Joumhouriya », estime que le régime syrien veut « islamiser » et si possible « djihadiser » le mouvement de contestation[25]. Selon Ignace Leverrier, l'« amnistie présidentielle » du mois de a pour objectif de se concilier les Syriens en colère, mais au lieu de libérer les leaders de la contestation, les services de renseignements prennent « soin » de ne libérer que de simples manifestants et quelques centaines de prisonniers islamistes. Des salafistes, notamment des membres d’al-Qaïda, quittent la prison de Saidnaya par groupes de 20 à 30 individus chaque jour[25]. Plusieurs centaines d'autres prisonniers d’opinion sont libérés en juin 2011 lors d'une amnistie présidentielle. Selon Slate, il s'agit pour la plupart de djihadistes[22]. Les prisonniers libérés en 2011 fondent ou rejoignent alors des groupes rebelles ou djihadistes, parmi eux figurent notamment Zahran Allouche, chef fondateur de Jaysh al-Islam[26],[25] ; Hassan Aboud, chef fondateur d'Ahrar al-Cham[25] ; Ahmed Abou Issa, chef fondateur de Suqour al-Cham[25] ; Abou Yahia al-Hamawi, chef d'Ahrar al-Cham[27] ; Abou Jaber, chef d'Ahrar al-Cham puis de Hayat Tahrir al-Cham[28], ou encore Abou Lôqman, qui devient le chef de l'Amniyat, les services de renseignements de l'État islamique[29]. Selon le chercheur Charles Lister : « Cela aurait pu constituer une tentative d’apaiser le sentiment antigouvernemental grandissant aux quatre coins du pays, mais il s’agissait davantage d’une manière douteuse de manipuler ses adversaires, en relâchant dans la nature ceux qu’il pourrait qualifier de terroristes dans les rangs des opposants au régime »[22]. D'après L'Orient-Le Jour, « la ficelle paraît tellement grosse que certains observateurs occidentaux n’ont pas écarté la thèse d’une manipulation du régime syrien »[30]. Et, en même temps que les islamistes les plus radicaux sont libérés, les contestataires pacifistes, démocrates et laïques sont emprisonnés[31],[32].

Tortures et conditions de détention

Si la torture est pratiquée dans de nombreuses prisons du régime syrien, celle de Saidnaya est considérée comme la pire de toutes[33],[3],[34]. Selon Amnesty International : « Des victimes de Saidnaya ont livré des témoignages effrayants quant à la vie à l'intérieur de la prison. Ils évoquent un monde soigneusement pensé pour humilier, dégrader, rendre malade, affamer et finalement tuer ceux qui s'y trouvent enfermés »[3]. Dès leur arrivée à Saidnaya, avant même d'être enfermés, les prisonniers sont battus par les gardiens à coups de barres de fer, de plastique ou de câbles électriques au cours d'une « fête de bienvenue »[1],[34],[35].

Après leur arrivée à Saidnaya, les détenus passent leurs premiers mois dans des cellules d'isolement, situées dans les sous-sols et larges de 80 cm sur 1,70 mètre, 1,80 mètre sur deux mètres ou encore deux mètres sur 2,5 mètres[1],[36],[35]. La prison en compte 48[1]. Elles sont le plus souvent plongées dans l'obscurité, la lumière du jour n'y filtre que quelques heures par jour à travers des trous étroits[1]. Souvent jusqu'à une quinzaine de personnes y sont enfermées en même temps[1]. L'hiver, les prisonniers sont laissés sans couverture en dépit du froid[34],[35]. Après plusieurs mois dans ces cellules souterraines, les détenus sont ensuite transférés vers des cellules en surface[35]. Ces dernières sont plus grandes — environ 25 mètres carrés — mais les prisonniers s'y entassent par dizaines, les salles n'ont pas de fenêtres, mis à part un judas grillagé donnant sur le couloir, et les détenus sont maintenus dans l'obscurité la majeure partie du temps[36],[35].

Les prisonniers sont regroupés à plusieurs dans les cellules[1]. Ils ont interdiction de parler, de faire du bruit ou de regarder les gardiens[3]. La nourriture, quand elle est distribuée, est souvent répandue à même le sol dans les cellules[3]. Les tortures, les passages à tabac, la faim, la soif et les maladies tuent quotidiennement[37]. Chaque matin, vers 9 heures, des cadavres sont ramassés dans les cellules par les gardiens[3].

Selon Amnesty, les actes de tortures sont « généralisés et systématiques contre tous les civils soupçonnés d'être contre le régime »[34]. Parmi les violences régulières figurent des décharges électriques, des brûlures à l'eau bouillante, l'arrachage des ongles des pieds ou des mains et les viols[34],[29]. Souvent, des détenus sont violés avec des matraques par des gardiens ou sont contraints de violer d'autres détenus[3],[38],[34].

Le , l'OSDH affirme qu'au moins 60 000 personnes sont mortes sous la torture ou en raison des mauvais traitements selon des renseignements obtenus auprès de sources du régime. Ce nombre concerne l'ensemble des lieux de détention du régime syrien, mais le plus grand nombre de décès a été répertorié dans la prison de Saidnaya, près de Damas, et dans les centres de détention des services de renseignements de l'armée de l'air et de la sécurité de l'État. À cette date, l'OSDH affirme avoir établi une liste des noms de 14 456 morts, dont 110 enfants, et indique qu'environ 500 000 personnes sont passées par les prisons du régime depuis le début du soulèvement en 2011[39].

Selon un bilan de la Human Rights Data Analysis Group (HRDAG), repris par Amnesty International, au moins 17 723 personnes sont mortes dans les centres de détention du régime syrien entre et . Mais le bilan réel est estimé comme étant très probablement bien plus élevé. Selon Amnesty International, environ 300 personnes meurent chaque mois dans les prisons syriennes[33],[34].

En septembre 2022, le rapport de l'ADMSP divulgue les conclusions de leurs recherches, fondées notamment sur le témoignage d'une trentaine d'anciens employés ayant fait défection, estime qu'environ 30 000 détenus (essentiellement des prisonniers politiques), y ont trouvé la mort entre 2011 et 2018, ainsi que 500 détenus exécutés entre 2018 et 2021[6],[7].

Pendaisons et exécutions extra-judiciaires

Dans un nouveau rapport publié le , Amnesty International estime qu'environ 5 000 à 13 000 opposants au régime syrien ont été pendus dans la prison de Saidnaya entre et [3]. Mais l'auteure du rapport, Nicolette Waldman, déclare : « il n'y a aucune raison de penser que les pendaisons se sont arrêtées. Nous pensons que ces exécutions se poursuivent encore aujourd'hui et que des milliers de personnes ont été tuées »[9].

Les pendaisons se déroulent une à deux fois par semaine, le plus souvent le lundi et le mercredi, au milieu de la nuit[3]. En début d'après-midi, les geôliers appellent ceux dont les noms figurent sur leur liste[2]. Ils leur font d'abord croire qu'ils vont être transférés dans une prison civile, à Adra ou Alep, où les conditions de détention sont beaucoup plus acceptables, mais au lieu de cela ils sont conduits dans une cellule d'une quinzaine de mètres carrés, située au sous-sol de la prison[3],[2],[10]. Les détenus y restent jusqu'au milieu de la nuit ou au matin et sont entretemps passés à tabac par les gardiens[2],[3],[37]. Les prisonniers sont ensuite emmenés dans un autre bâtiment de Saidnaya[3],[2]. Les détenus sont d'abord présentés à un « tribunal militaire opérationnel »[3]. La procédure est très sommaire, elle ne dure qu'une ou deux minutes, les détenus ont les yeux bandés, ils n'ont pas droit à un avocat et le tribunal s'appuie sur des « aveux » extorqués sous la torture ou des déclarations préalablement remplies[3]. Les condamnés à mort ne sont pas informés de la sentence, ils ne l'apprennent que quelques minutes avant leurs exécutions[3]. Ces derniers signent leur avis de décès avec leur empreinte digitale, on leur demande d'exprimer leurs derniers souhaits, puis ils sont exécutés dans les minutes qui suivent[2],[37]. Selon le rapport d'Amnesty International : « Pendant tout le processus, les victimes gardent les yeux bandés. Elles ne savent pas quand ni comment elles vont mourir, jusqu'à ce que la corde leur soit passée autour du cou »[3]. La salle d'exécution, située au sous-sol du « bâtiment blanc »[9], a été agrandie en et est divisée en deux pièces, jusqu'à dix personnes peuvent être pendues en même temps dans l'une des pièces, vingt dans l'autre[2]. Les condamnés sont exécutés par groupes de 20 à 50, ils sont amenés sur une plateforme surélevée à un mètre du sol[3],[2]. Dans la première pièce, l'exécution se fait à l'aide d'une trappe ; dans la seconde, les condamnés sont poussés dans le vide par un gardien[2]. Selon un ancien juge interrogé par Amnesty International et ayant assisté aux pendaisons : « Ils les laissent [se balancer] là pendant 10 à 15 minutes. Certains ne meurent pas parce qu'ils sont légers. Surtout les jeunes, car leur poids ne suffit pas pour les tuer. Des assistants les détachent alors et leur brisent la nuque »[3] ou bien « des assistants de l’officier en charge tirent alors leurs corps vers le bas pour leur casser le cou »[2]. Les corps sont ensuite envoyés à l'hôpital militaire de Tishreen, à Damas[2]. Après avoir été répertoriés, ils sont placés dans des cercueils en bois, ou bien simplement enveloppés dans des sacs en plastique ou encore laissés tels quels[2]. Ils sont ensuite enterrés discrètement dans des fosses communes sur des terrains appartenant à l'armée[3],[2]. Selon des témoignages recueillis par Amnesty International, parmi les lieux d'inhumation figureraient le village de Najha, entre Damas et Soueïda, et la petite ville de Qatana[2]. Le , les États-Unis affirment qu'un crématorium a été construit à Saidnaya pour brûler les corps des détenus[40],[41].

Selon Amnesty International : « Les condamnations à mort sont approuvées par le grand mufti de Syrie et par le ministre de la Défense ou le commandant en chef de l'armée, qui ont le pouvoir d'agir au nom du président Bachar el-Assad »[42],[2],[43]. Nicolette Waldman déclare : « La sentence est approuvée par le ministre de la Défense, dont la signature est mandatée par le président Assad. Il est impossible que les hauts responsables et les hauts gradés du régime ne soient pas au courant. Il s’agit d’une politique d’extermination »[9].

Témoignages d'anciens détenus

Généralement présentés comme des survivants, les anciens détenus, de même que les familles de détenus ou de disparus, refusent en général de témoigner publiquement, par craintes. Selon Omar Alshogre, la torture à Saidnaya n'a pas pour objectif de faire parler, mais de faire taire, pour toujours[44]. Cependant, de nombreux témoignages, certains publiés sous couvert d'anonymat sous un pseudonyme, ont pu être recueillis, notamment par Amnesty International et Forensic Architecture. Garance Le Caisne, pour son livre Opération César, Au cœur de la machine de mort syrienne, a recueilli non seulement le témoignage du photographe légiste César, mais aussi ceux de plusieurs anciens détenus. Et en , The Association of Detainees and The Missing in Sednaya Prison (association des détenus et disparus dans la Prison de Saidnaya) publie un rapport de 60 pages basé sur les témoignages de 400 anciens détenus rencontrés en personne. Selon Diab Serriyah, coordinateur général de l'association, « ce rapport montre, en fournissant des chiffres et des témoignages, comment le régime a utilisé le mécanisme d'arrestation et de disparition forcée comme l'un des instruments de la guerre contre la société syrienne ». Malgré tout, il est très difficile d'établir des nombres précis, le régime syrien lui-même étant incapable de donner des chiffres ou listes de détenus[45].

Libération de détenus

Ponctuellement, dans le cadre d'amnisties présidentielles ou d'échanges de prisonniers, des détenus sont libérés, parfois après une dizaine d'années de disparition forcée ou de détention, dont plusieurs passées à Saidnaya. Début mai 2022, plusieurs détenus de Saidnaya sont libérés. Pour certains, le régime avait préalablement fourni des certificats de décès à leur nom[46],[47].

Direction de la prison

Le directeur de la prison de 2013 à 2017, le brigadier-général Mahmoud Maatouk, meurt dans des conditions mystérieuses. Il est assassiné par des hommes armés en ou début 2018 à Harasta. C'est sous sa direction que la majorité des décès causés par la famine, le manque de soin, la torture et les exécutions extrajudiciaires ont eu lieu[48],[49],[5]. En juin 2021, le colonel Wassim Hassan est le second directeur de Saidnaya à mourir brutalement, officiellement de crise cardiaque. Il avait été mis à la retraite anticipée en 2020[50],[51].

Réactions internationales

Le , les enquêteurs du Conseil des droits de l'homme des Nations unies affirment que ces exactions sont le résultat d'une « politique d'État » et accusent le régime syrien de mener une « extermination » des détenus. Le chef de la commission, Paulo Pinheiro, déclare : « Le caractère massif des morts de détenus suggère que le gouvernement syrien est responsable d’actes qui relèvent de l’extermination et sont assimilables à un crime contre l’humanité »[52].

Anciens détenus notables

Jusqu'en 2011

Détenus islamistes et salafistes

Autres détenus

Pendant la guerre civile

  • Bassel Khartabil, militant, exécuté
  • Jihad Qassab, footballer, probablement mort sous la torture
  • Shibal Ibrahim, militant kurde, libéré
  • Omar Alshogre, étudiant, libéré en , contre 20 000 dollars[53]
  • Ali Othman, journaliste, probablement mort sous la torture
  • Majd Khoulani, militant pacifiste, frère d'Amina Khoulani, probablement mort sous la torture[54]
  • Abdelsatar Khoulani, frère de Majd et Amina, probablement mort sous la torture[54]
  • Nabil Sharbaji, journaliste et militant pacifiste, mort en détention, probablement sous la torture[55]
  • Ahmed Al-Riz, dit Leil, artiste[56]

Voir aussi

Liens externes

Témoignages

Bibliographie

Notes et références