Compagnie des mines de la Grand'Combe et des chemins de fer du Gard

La Compagnie des Mines de la Grand’Combe et des chemins de fer du Gard est une société qui construisit et exploita une ligne de chemin de fer des mines de La Grand’Combe, dans le Gard, au port de Beaucaire, sur le Rhône.

Compagnie des Mines de la Grand’Combe et
des chemins de fer du Gard
Histoire
Fondation
Dissolution
Cadre
Type
Forme juridique
Société anonyme
Domaines d'activité
Siège
Pays
Organisation
Fondateur
Talabot frères, Abric, Veaute et Mourier

Les mines de charbon des Cévennes furent parmi les premières de France et étaient au XVIIIe siècle les plus prometteuses, après celles de la compagnie des mines d'Anzin, mais elles se heurtèrent aux problèmes de transports et de droits de propriété.

Le charbon est transporté sur des sentiers muletiers et son charroi augmente son coût d'au moins 75 %. Par suite, le charbon revenait plus cher à Nîmes que le bois de chauffage et à Beaucaire il était plus cher que celui de Rive-de-Gier extrait du bassin stéphanois[1].

C’est grâce à une initiative du maréchal Soult, ministre sous la monarchie de Juillet, qu’une solution ferroviaire mise en œuvre par Paulin Talabot et son ami fidèle Charles Didion va permettre de remédier à cette situation.

Le chemin de fer du Gard sera le tremplin des activités ferroviaires de Talabot jusqu’à la présidence de la compagnie du PLM.

Les premiers projets

Le des directeurs et des gérants de mines du pays d’Alès s’associent pour demander et exploiter une voie ferrée entre le bassin houiller des Cévennes, Nîmes et la mer dans le cadre d’une Compagnie des chemins de fer d’Alès. L’avant-projet sommaire mentionne deux lignes à partir d’Alès ; l'une vers Lunel, l’autre vers Aigues-Mortes en passant par Nîmes[2]. Le détail du tracé n’est pas indiqué encore moins une évaluation des dépenses ni les recettes envisagées. Malgré les encouragements des notabilités locales consultées et de l’avis favorable de l’ingénieur des Ponts & Chaussée du département du Gard (Grangent) mais ne reposant sur aucune étude sérieuse, la demande des postulants auprès du directeur général des Ponts & Chaussée et des Mines à Paris reste lettre morte.

Bassin houiller du Gard.

La création de la Compagnie des Fonderies et Forges d’Alais[3] donne un nouvel élan au bassin d’Alès, par l’extraction de minerai de fer[4]. L’ingénieur chargé du service des mines de cet établissement, Cyprien-Prosper Brard[5] propose l’établissement d’une courte voie ferrée (3 500 m) destinée au transport du minerai de fer et de la houille nécessaires aux besoins des fonderies et forges. Une demande de concession est adressée en ce sens au mois de janvier 1830 au préfet du Gard. Cette demande reste au stade de projet[6].

Le , MM. Charles Havas et Dominique de Bérrénéchéa-Mutari, directeurs de la Société civile des houillères de Rochebelles et du Trélys, créée en 1828[7] par réunion de ces deux houillères, sollicitent l’autorisation du ministre des Travaux Publics pour entreprendre les études visant à la réalisation d’une voie ferrée soit d’Alès à Aigues-Mortes, soit d’Alès vers Beaucaire avec, dans les deux cas, un embranchement vers Nîmes. À cette fin, avec l’appui de plusieurs habitants de Nîmes, d’Alès et des capitalistes de Paris, est créée une Société civile d’études et de recherches[8]. Après avis favorable de la direction générale des Ponts & Chaussée et des Mines, le préfet du Gard (Antoine Édouard Herman) autorise, par arrêté préfectoral du , la Société à mener les études et travaux préliminaires nécessaires à l’établissement de la voie ferrée.

Mais cette société d’études allait affronter les projets d’une société concurrente plus puissante constituée à l’initiative du maréchal Soult.

L’initiative du maréchal Soult

Les débuts du régime de la Restauration se prêtent à de nouvelles initiatives industrielles d’envergure mobilisant d’importants capitaux ; la paix est revenue, les échanges commerciaux avec l’Angleterre s’accroissent, les voyages d’affaire et de découverte des industriels et ingénieurs Outre-Manche permettent de se familiariser à de nouvelles techniques. En avril 1821, un nouveau tarif douanier porte à 120 % les droits d’importation sur les fers, notamment anglais. Par ailleurs, le gouvernement lance la construction d’un réseau de canaux pour abaisser le prix de transports (plan Becquey). C’est après 1822-1823 qu’apparaissaient des projets de former de grands complexes industriels tels qu’on pouvait les voir en Angleterre (Birmingham, Manchester), en substitution de solutions limitées (intégration d’une innovation technique à une structure ancienne pour minimiser les coûts d’investissement)[9]. Enfin, l’exemple du duc Decazes qui, au retour de son ambassade à Londres (1820 – 1821) durant laquelle il avait pu se documenter sur les méthodes industrielles anglaises, se lance dans les affaires en Aveyron et créé, en 1826, la Société des Houillères et Fonderies de l'Aveyron, ne peut que stimuler Soult pour constituer un complexe industriel proche d’Alès où houillères et mines de fer sont mitoyennes et, de notoriété publique, abondantes.

Canal de Beaucaire, reliant Beaucaire à Aigues-Mortes.

Le maréchal Soult a investi une part importante de sa fortune dans des investissements en Camargue et dans le Bas-Languedoc[10]. Il est actionnaire du canal de Beaucaire à Aigues-Mortes[11] (aujourd’hui intégré au canal du Rhône à Sète)[12] et de la société propriétaire d’une concession de mine de fer (Treseloup) et de houillères (Trelys), toutes deux dans le bassin d’Alès.

Certain de la richesse du bassin d’Alès pénalisé cependant par des difficultés de transport[13], le maréchal Soult pense pouvoir améliorer cette situation défavorable en amenant la houille au canal de Beaucaire par un moyen rapide et peu coûteux[14]. Cet apport assurerait de nouveaux débouchés au canal vers Toulouse par le canal du Midi, mais aussi vers Marseille et Toulon par le bas-Rhône et le canal d’Arles à Bouc[15].

En 1825, à l’instigation du maréchal Soult, est constituée une Société civile d’exportation et d’exploration des mines et houillères d’Alès, regroupant des notables de la région[16], qui acquiert en 1827 les houillères de Trelys et la mine de fer de Treseloup, puis qui fusionne, en 1828, avec la concession houillère de Rochebelle, propriété de Tubeuf[17], pour former la Société civile des Houillères de Rochebelle et Trelys.

En 1829, est créée la Société des Fonderies et Forges d’Alès dont la Société civile d’exportation et d’exploration des mines et houillères d’Alès est actionnaire pour 150 actions[18].

La question des débouchés pour écouler les produits de l’établissement enclavé, sans compter le transport de la houille à un prix réduit, se heurte à l’absence d’un moyen de transport à proximité. Un arrêté préfectoral du autorise le maréchal Soult à mener les études pour l’établissement d’un canal ou d’un chemin de fer d’Alès au canal de Beaucaire, par Nîmes[19]. Il confie à Paulin Talabot la mission de déterminer le choix entre ces deux modes de transport[20]. Dans son rapport à la Société d’études, Talabot écarte la solution du canal et préconise la solution de la voie ferrée[21]. Pour affiner son étude, et n’existant pas selon lui en France d’expérience suffisante hormis les chemins de fer du bassin stéphanois[22], il décide de se rendre en Angleterre où les chemins de fer connaissaient un plus grand développement (construction, matériel, exploitation)[23].

Le tracé

À son retour, fin 1830, Paulin Talabot étudie le tracé avec l’aide de ses deux frères Jules et Léon[24].

D’Alès à Nîmes, le tracé suit la vallée du Gardon et le col du « Mas de Ponge ». Au-delà de Nîmes, trois directions s’offraient ; l’une vers Bellegarde, une autre vers Aigues-Mortes, enfin une dernière vers Beaucaire. Bellegarde était la plus proche de Nîmes, mais n’était pas accessible aux bateaux de mer. Aigues-Mortes était un port de mer mais on lui préféra Beaucaire pour les raisons suivantes :

  • une distance plus courte de 12 km ;
  • des ouvrages d’art moins nombreux (notamment des levées pour éviter les inondations) ;
  • concurrencer les houilles du bassin stéphanois en Provence et les houilles anglaises sur les marchés de Marseille ;
  • la présence d’un port sur le Rhône et sur le canal ;
  • l’importance de la ville comme centre commercial (foire).

Pour atteindre Beaucaire, le tracé suit le haut de la plaine du Vistre, le plateau de Campuget, puis atteint la ville en descendant à flanc de colline. Le tracé fut joint à l’avant-projet de la demande de concession dans lequel les frères Talabot évaluèrent les dépenses nécessaires et les recettes probables. Le transport à un coût moins élevé que celui du roulage devait faire augmenter la demande (consommation) et ouvrir de nouveaux débouchés (marchés plus éloignés). Chemin de fer et développement du bassin d’Alès étaient ainsi deux entreprises intiment liées. La ligne est longue de 72 km[25].

Appelé au gouvernement comme ministre de la guerre en novembre 1831, le maréchal Soult cède sa place au sein de la Société d’études à Paulin Talabot qui adjoint deux nouveaux projets ; un relatif au doublement du pont de Ners pour supporter à la fois le chemin de fer et la route d’Alès à Nîmes, un autre relatif à un canal d’adduction des eaux du Gardon à Nîmes parallèle au chemin de fer[26].

La demande de concession

Une demande de concession du chemin de fer d’Alès à Beaucaire est déposée au nom des trois frères Talabot le auprès du ministre des Travaux Publics[27]. Ils sollicitent une concession directe plutôt qu’une adjudication publique, avec un tarif de 0,15 F/tonne/km à la descente et de 0,17 F/tonne/km à la remontée quelle que soit la marchandise, en guise d’indemnisation pour les frais d’établissement et d’entretien.

Un arrêté du préfet du Gard, de la Coste, en date du , soumet le projet à enquête publique prévue par l’ordonnance royale du relative aux travaux publics[28]. De nombreuses personnes s’opposent au projet craignant pour leur propriété ou leur commerce. Seule Beaucaire donne un avis favorable. La procédure administrative est troublée par une réclamation déposée auprès du ministre de l’Intérieur par la Société Abric, Veaute et Cie[29], à laquelle s’étaient joints des entrepreneurs de transport de Nîmes, qui proteste contre le tarif annoncé et le principe d’une concession directe. Le préfet remet son rapport au ministre des Travaux Publics le , écartant la réclamation de la Sté Abric, Veaute et Cie au motif qu’elle est davantage dirigée pour gêner la création du chemin de fer car la société n’avait pas elle-même les moyens d’entreprendre sa construction. Cette « concurrence » tardive de la Société Abric, Veaute et Cie est consécutive à l’abandon du projet d’adduction d’eaux à Nîmes qu’elle avait mené avec les frères Talabot.

Le Conseil général des Ponts & Chaussées ne suit pas complètement l’avis du préfet et décide de mettre la ligne à adjudication publique. Le , le ministre arrête le cahier des charges du chemin de fer dont le tarif est fixé à 0,10 F/tonne/km le transport de la houille et 0,15 F/tonne/km les autres marchandises à la descente[30], et 0,17 F/tonne/km à la remontée toutes marchandises sans distinction. La date de la mise en adjudication est fixée au .

Cette décision de l’administration centrale ne peut convenir aux frères Talabot qui ont sollicité un tarif de 0,15 F/tonne/km à la descente sans distinction sur la nature des marchandises transportées. L’administration ayant reconnu son erreur, la corrige et la porte à la connaissance du public seulement le 29 septembre. Par suite, l’adjudication, annoncée pour le 20 novembre, est repoussée au [31].

Mais cette rectification déplut à la Compagnie des mines de la Grand’Combe estimant subir un préjudice par cette augmentation du prix de transport de la houille. À nouveau l’adjudication est repoussée au dans l’attente des conclusions de la commission consultée une fois de plus et qui rend un avis dans le sens de la réclamation des frères Talabot.

Dépitée, la Compagnie des mines de la Grand’Combe, représentée par MM. Veaute, Abric et Mourier, entrepreneur de travaux publics, s’invite à l’adjudication en proposant un tarif de 0,10 F/tonne/km pour la houille à la descente. Compte tenu d’une nouvelle erreur matérielle relative aux documents transmis par la Compagnie, l’adjudication est repoussée au 20 janvier. Entre-temps, le préfet et l’administration ne restent pas insensibles au tarif proposé par la Compagnie, et décident de modifier une troisième fois le cahier des charges en décidant de fixer le transport de la houille à 0,10 F/tonne/km à la descente, et que seul pouvait varier le tarif des autres marchandises à la descente ainsi que le tarif à la remontée. La date de l’adjudication est dorénavant fixée au .

Les deux soumissionnaires (Cie minière de la Crand’Combe et les frères Talabot) comprennent qu’ils ont intérêt à s’entendre ; la première dispose de l’assise financière suffisante, les seconds disposent des connaissances techniques nécessaires. Le jour de l’adjudication, dans les locaux de la préfecture de Nîmes, une seule offre se présente, celle de MM. Paulin Talabot, Eugène Abric, Louis Veaute et Daniel Mourier qui acceptent de construire le chemin de fer à leurs risques et périls aux conditions du cahier des charges. En l’absence d’une autre offre, ils sont déclarés adjudicataires[32]. L’adjudication à perpétuité[33] est homologuée par la loi du [34]. Les soumissionnaires s’engagent à réaliser la voie ferrée dans un délai de 5 ans. À vocation industrielle, le transport de voyageurs n’est pas prévu au cahier des charges, alors qu’il commence à s’organiser dès cette époque sur le Chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon[35]. Le tracé est approuvé par ordonnance du [36].

En comparaison des conditions faites aux compagnies antérieurement créées, la concession d’Alès à Beaucaire innove par :

  • l’autorisation faite par une loi (pour les lignes d’une longueur supérieure à 20 km) et non par une ordonnance royale ;
  • une différenciation des tarifs selon la nature des marchandises transportées. Jusqu’alors, l’administration regardait les chemins de fer comme une annexe à des établissements industriels (chemins de fer du bassin stéphanois et d’Epinac). Elle s’en désintéressait n’y voyant aucun intérêt d’ordre public, n’y apportant aucun concours financier ni garantie et n’accordait son autorisation que pour permettre l’expropriation pour cause d’utilité publique des terrains nécessaires à l’établissement de la voie. Ces premiers chemins de fer étaient autorisés à perpétuité sans condition éventuelle de reprise.

Il est évident pour les frères Talabot que la ligne limitée à Alès ne pouvait produire tous ses effets escomptés si elle n’était pas prolongée au plus près des concessions houillères exploitées par la Compagnie des mines de la Grand’Combe[37]. Mettant à profit leur communauté d’intérêt pour l'adjudication du chemin de fer d'Alais à Beaucaire, ils proposent à leurs nouveaux associés le prolongement du chemin de fer sur 19 km, d’Alais jusqu'aux mines de la Grand’Combe.

Carte des concessions houillères du bassin d'Alais et des chemins de fer du Gard.

Un projet en ce sens est soumis au ministre le prévoyant un prix de transport de 0,22 F/tonne/km à la descente et 0,25 F/tonne/km à la remonte. Le 4 avril intervient un accord entre les frères Talabot et la Compagnie des mines de la Grand’Combe aux termes duquel elle s’engage à construire à ses frais, risques et périls la voie ferrée. En contrepartie, les frères Talabot s’engagent à faire bénéficier la compagnie houillère des réductions de prix sur le transport des charbons sur les voies navigables à la suite des traités conclus entre eux et les principaux canaux du Midi, ainsi qu’une diminution de 0,05 F à 0,10 F sur le tarif de transport si la compagnie houillère confie au chemin de fer 50 000 t/km ou 100 000 t/km de houille par an.

Compte tenu du caractère strictement industriel de cette courte ligne (moins de 20 km) qui ne pouvait pas intéresser d’autres postulants, la ligne est concédée directement, sans adjudication, à la charge exclusive du concessionnaire ; la concession du chemin de fer d'Alais aux mines de la Grand’Combe est accordée par ordonnance royale du à laquelle est annexé le cahier des charges[38],[39].

Cette concession présente d’autres nouveautés :

  • la concession est accordée à titre temporaire pour une durée de 99 ans ;
  • elle différencie davantage les tarifs selon la nature et leur volume des marchandises transportées tant à la descente qu’à la remonte (houille et minerai de fer : 0,12 F/tonne/km à la descente comme à la remonte ; autres marchandises : 0,17 F/tonne/km à la remonte et 0,15 F/tonne/km à la descente) ;
  • elle autorise le transport de voyageurs (0,12 F/personne/km) ;

La constitution de la société concessionnaire

À la suite de l’adjudication du , MM. Talabot frères[40], Abric, Veaute et Mourier constituent une société anonyme dénommée Compagnie des chemins de fer d’Alais au capital de 6,5 millions en 1 300 actions de 5 000 F chacune[41]. On fit appel à l’épargne publique pour réunir ce capital mais les actions ne sont pas souscrites ; les épargnants semblent « frileux » face à une entreprise de cette envergure et les capitaux importants sont rares dans le Midi pour souscrire un montant nominal aussi élevé.

Face à cet échec, les concessionnaires décident de rendre plus attractive leur entreprise en réunissant dans une même société les mines de la Grand’Combe et les deux voies ferrées (Alès-Beaucaire par Nîmes et Alès-mines de La Grand’Combe). La réunion de l’ensemble en une seule entreprise permettrait l’aménagement des mines et assurer à la voie ferrée le transport de la totalité de la houille[42].

Signatures apposées au bas de l'acte notarié constitutif de la société.

Le , est constituée une société en commandite par actions au capital de 14 millions, sous la raison sociale Talabot frères, Veaute, Abric, Mourier et compagnie pour l’aménagement et l’exploitation des mines de la Gand’Combe, l’exécution des deux chemins de fer et toute autre partie accessoire aux mines et chemins de fer, enregistrée par acte notarié le 10 mai 1836 à Paris. La construction des chemins de fer est fixée à 9,2 MF[43].

Pour la construction et l’exploitation du chemin de fer, la société fait explicitement référence au modèle britannique, vraisemblablement sur les conseils de Paulin Talabot à la suite de son voyage en Angleterre[44].

Cependant, les efforts pour recueillir les fonds manquants restent infructueux ; à peine la moitié des actions est réunie[45].

La situation devient difficile d’autant qu’en vertu du cahier des charges, les concessionnaires se sont engagés à livrer la voie ferrée dans un délai de 5 ans à compter de la loi d’approbation de la concession. Trois ans s’étaient passés sans un début de construction de la ligne.

Les parties intéressées à l’affaire cherchent à élargir le cercle des financeurs en particulier auprès des commerçants et industriels marseillais. Déjà en 1835, des hommes d’affaires de la cité phocéenne se sont mobilisés pour que le « gouvernement prenne sous sa protection » le chemin de fer du Gard[46]. La même année, L. Veaute sollicite l’appui de la chambre de commerce de Marseille pour favoriser la réunion de capitaux nécessaires à l’affaire[47].

C’est par l’intermédiaire de Nicolas Drouillard de La Marre et Benoist d’Azy, fermiers des Fonderies et Forges d’Alès dont ils sont convaincus que son développement est liée à la construction du chemin de fer[48] que des commerçants et financiers marseillais viennent à s’intéresser au chemin de fer du Gard. Benoist dAzy rencontre à Paris plusieurs hommes d’affaires marseillais ; « Je suis parvenu à convaincre plusieurs des Marseillais (Luce et autre), à investir dans l’affaire Talabot. »[49]. Pour autant, les « Marseillais » ne veulent pas s’engager dans cette aventure sans une aide de l’État au chemin de fer[50]. En contrepartie d’un prêt accordé par l’État, les banquiers Jacques Fraissinet et Joseph Ricard, les négociants Jean Luce et Théophile Delort, l’armateur Simon Thérond et les industriels Fournier frères apportent leur concours financier au chemin de fer[51].

Le groupe financier ainsi constitué, la société sollicite auprès du gouvernement un prêt de 6 millions de francs aux conditions suivantes[52] :

  • l’affectation du revenu de toutes ses propriétés, évaluées à 3 millions, au paiement des intérêts du prêt, la responsabilité solidaire des gérants et le dépôt au Trésor d’une somme de 6 millions en actions de la société ;
  • le prêt porte intérêt à 3 % ;
  • le remboursement s’effectue par 12e, le premier payable deux ans après la mise en service du chemin de fer ;
  • la livraison pendant toute la durée du prêt, aux services de l’État dans la Méditerranée, de houilles à -20 % du prix de l’adjudication pour le service des bateaux à vapeur à Toulon.

Cet engagement fait l’objet d’une convention, le , entre la société et le ministre des Travaux publics.

À la suite, le ministre des Travaux Publics, Nicolas Martin du Nord, dépose le un projet de loi devant la Chambre des députés portant diverses concessions de chemins de fer ainsi que l’autorisation du prêt sollicité. Le contexte politique de défiance envers le gouvernement ne favorise pas ces projets ainsi que les divergences entre ceux désirant réserver la construction des voies ferrées à l'État et ceux, au contraire, voulant les confier à l'initiative privée. La commission qui examine le projet de loi le 14 mai exige des garanties supplémentaires pour octroyer le prêt[53].

La société les accepte en signant une convention additionnelle le  :

  • pour chaque versement d’un acompte du prêt, les concessionnaires apportent la preuve que les travaux engagés atteignent au moins la valeur d’un cinquième de l’acompte ;
  • pour le premier versement du prêt, la société justifie que les propriétés hypothéquées lui appartiennent régulièrement ;
  • outre la responsabilité solidaire des gérants de la société, les associés en nom collectif se portent garants du paiement des intérêts et du capital du prêt ;
  • l’hypothèque conférée à l’État porte non seulement sur les travaux à exécuter mais également sur les terrains acquis pour la réalisation de ces travaux et à tous les biens immobiliers nécessaires à l’exploitation.

La discussion du projet de loi se déroule en séance publique le . Après une intervention énergique d’A. Legrand le projet de loi est voté à cinq voix de majorité[54]. La Chambre des Pairs vote dans le même sens (pour : 59 voix ; contre : 35 voix) et la loi est promulguée le [55].

La loi aggrave les engagements de la société envers l’État par l’augmentation du taux d’intérêt de 3 à 4 % et la fourniture de houille dans les port de l’État en Méditerranée rendue obligatoire pendant 14 ans après l’achèvement des travaux et non plus pendant la durée du remboursement du prêt. Il est à noter qu'à la même période, l'État refuse un prêt de 4 millions à Mellet et Henry pour leur chemin de fer d'Andrézieux à Roanne. Mais ils ne disposaient pas des mêmes appuis politiques au parlement !

Le prêt sitôt accordé, Talabot réorganise la société sous la dénomination (titre) Société des mines de la Grand’Combe et chemins de fer du Gard[56]. Le capital social de la société en commandite par actions est fixé à 16 millions répartis en 16 000 actions de 1 000 F (contre 5 000 F dans la société originelle) ; 3 000 à la société de la Grand’Combe en contrepartie de l’apport des concessions houillères, 7 000 actions pour Talabot frères, Veaute et autres ainsi que les associés marseillais et 6 000 actions remises à l’État en gage de son prêt et restituées aux associés au fur et à mesure du remboursement du prêt. Chaque action donne droit à une part proportionnelle dans toutes les valeurs composant l’actif social, à un dividende de 5 % sur les produits de l’entreprise toutes charges déduites et à une part proportionnelle au nombre d’actions dans les bénéfices. Après la mise en service du chemin de fer et à la fin du remboursement du prêt, la commandite pourra se transformer en société anonyme. La société est constituée pour une période de 40 ans à compter du | (date de création de la société originelle).

Entre-temps, la banque Rothschild avance à la société la somme de 6 millions en contrepartie d'une exclusivité pour la revente à sa clientèle des actions non souscrites[57],[58].

En contrepartie de son appui au cours de ces longues négociations, la société Drouillard, Benoist et Cie reçoit la commande de 10 000 tonnes de rails[59].

Les travaux et l’ouverture au public

Les opérations de piquetage et de jalonnement débutent dès la fin du mois juillet 1837 entre Nîmes et Beaucaire et à partir du 4 octobre entre Nîmes et la Grand’Combe. Conformément aux dispositions de la loi du relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique, les chemins de fer d’Alès à Beaucaire et de d’Alès aux mines de la Grand’Combe ayant été déclarés d’utilité publique respectivement les et , le préfet du Gard, baron de Jessaint, prend toutes les dispositions pour permettre les procédures d’expropriation des terrains concernés. Les réclamations nombreuses sont examinées par des commissions installées à Nîmes et à Alès qui fixent, le cas échéant après que la procédure amiable ait échoué avec la compagnie concessionnaire, le montant des indemnités. Enfin au printemps 1838, les travaux à proprement parler commencent, en particulier pour les souterrains de Ners et de Boucoiran entre Alès et Nîmes, et le tunnel du « Mas de Pillet » entre Nîmes et Beaucaire[60]. La pose de la voie est confiée à des ouvriers anglais et George Stephenson[61], invité par P. Talabot, se déplaça pour observer le déroulement des travaux.

Première gare du chemin de fer à Nimes (sur la route d'Uzès)

En juin 1839, les concessionnaires demandent la réception de la ligne entre Nîmes et Beaucaire. Un premier essai a lieu le 14 juillet et l’ouverture officielle intervient le lundi 15 juillet à 4 heures du soir en présence du préfet du Gard, et du général Teste[62]. Le convoi, conduit par Talabot et Didion et composé de 18 voitures dans lesquelles avait pris place 500 invités, met 36 minutes pour relier Nîmes à Beaucaire. Le lendemain la ligne est ouverte au public qui ne se précipite pas toutefois. La construction de la ligne entre Nîmes et la Grand’Combe rencontra des difficultés.

À ces difficultés de construction, s’ajoutent des préoccupations financières pour le versement du premier acompte du prêt consentit par l’État ; sollicité en juillet 1838 il ne fut versé qu’en juin 1839. Le deuxième acompte intervint sans difficulté en juillet 1839. Cependant, du fait d’une sous-estimation initiale des coûts de construction et des premiers mois d’exploitation qui conduisent à une multiplication des gares et à la pose partielle d’une seconde voie, il est décidé de porter le capital de la compagnie à 22 millions en lançant un nouvel emprunt de 6 millions avec un intérêt de 5 % afin d’assurer le succès de son placement. Cette opération est en effet un succès.

La ligne de Nîmes à la Grand’Combe est ouverte officiellement le . L’enthousiasme est cette-fois au rendez-vous ; Paulin Talabot est surnommé le « Stephenson français » par la population locale. Un convoi de 26 wagons, transportant environ 700 personnes, remorqué par trois locomotives relie Nîmes à La Grand'Combe en deux heures et demie. Dans le souterrain de l'embranchement de la station de La Pise à la mine de La Forêt, une collation est offerte aux invités, servie par les officiers de la garnison de Nîmes[63].

L’exploitation

La ligne, longue de 88 km, est organisée en trois sections :

  • Nîmes-Beaucaire ;
  • Alès-Nîmes ;
  • Alès-La Grand’Combe.
Extrait du plan de Nîmes montrant, en haut à droite, l'emplacement de l'embarcadère des chemins de fer du Gard[64]

La première section débute à la sortie de Nîmes près de l’octroi de la route d’Uzès, puis franchit la plaine du Vistre et le plateau de Campuget par deux lignes droites (8 et 3 km) reliées par des courbes de 4 000 m. Les rampes n'excédent pas 3 ‰ jusqu’au lieu-dit Saint Paul. Elle descend ensuite vers Beaucaire par une rampe assez rapide, avec des courbes de 2 000 à 3 000 m, en suivant les collines dominant la vallée du Rhône sur 8 km. Au début, la ligne est à voie unique ; un croisement, long de 4 km, est installé sur le plateau de Campuget. La ligne comporte neuf stations : Courbessac, Marguerittes (dénommée par la suite Grézan), Mas de Beaulieu, Manduel, Curboussot, Mas Larier, Bellegarde (aujourd’hui Joncquières-Saint Vincent), Mas de Pillet et la Fon du Roy.

La deuxième section a un tracé plus sinueux avec de nombreuses courbes à faible rayon (jusqu’à 200 m et de fortes déclivités. À la sortie d’Alès, la ligne longe, selon un tracé favorable, le Gardon qu’elle traverse en amont de la station de Ners. Au-delà de la station de Nozières la ligne franchit les collines séparant la plaine du Gardon à celle de la Vistre par deux contre-pentes à forte déclivité, atteignant un point culminant au col du Mas de Ponge. Puis elle redescend par une pente de 12 ‰ vers Nîmes où elle s’embranche à la première section un peu avant la station de Courbessac. Bien que conçue pour la double voie, une seule voie est posée au début. Les stations sont au nombre de huit ; Saint-Hilaire, Vézénobre, Ners, Boucoiran, Nozières, Saint-Giniès, Fons et Mas de Ponge.

La dernière section destinée au transport de la houille est construite avec moins de perfectionnement que les précédentes. La ligne, à voie unique, présente des courbes à très faible rayon. Elle descend sur Alès par des pentes variant entre 2 et 5 ‰. Trois stations étaient aménagées ; aux usines de Tamaris, à La Vareille (ou Lavabreilhes) et à La Pise. Un embranchement comportant un plan incliné, relie la station de La Pise à la mine de La Forêt[65].

La construction de la voie présente une innovation ; alors que sur les voies ferrées antérieures les rails étaient tenus sur des dés en pierre enfoncés solidement dans le sol, la voie est ici, reprenant les principes des voies d’Outre-Manche, constituée de rails maintenus par des coussinets en fonte fixés sur des traverses en bois reposant sur un lit de pierre (ballast) de deux pieds d’épaisseur. Les rails à double champignon proviennent des Fonderies et Forges d’Alais.

Tous les ouvrages d’art (tunnels, ponts, viaduc) sont édifiés en maçonnerie. Les bâtiments (gares, magasins, maisons de garde barrière) présentent la particularité de fenêtres en ogive rappelant la mode britannique de l’époque pour l’architecture du Moyen Âge. Les trois gares d’Alès, Nîmes et Beaucaire sont construites en cul-de-sac.

Pour le matériel moteur, la compagnie fait appel aux usines de Robert Stephenson à Newcastle et de Sharp & Robert à Manchester. Les locomotives sont baptisées des noms de L’ingoulevent, La tempête, Pantagruel, l’Hippogriffe, Brûle-fer, Adamastor, etc[66]. L’entretien des locomotives est confié à l’atelier de construction de locomotives de La Ciotat, fondé en avril 1839 par la Société Benet & Cie et au capital duquel on trouve les fondateurs des chemins de fer du Gard mais aussi Emile Martin[67] et James de Rothschild[68].

La composition des trains voyageurs est de dix voitures de 3e classe, une voiture de première, une voiture de deuxième et un nombre variable de wagons ouverts en fin de convoi. Sur la section Alès-La Grand’Combe ne circulent que des wagons découverts.

Sur la section Nîmes-Beaucaire, la plus fréquentée, la compagnie fait circuler huit trains par jour contre six pour les deux autres sections. Circulant sur voie unique, les trains se croisent au milieu du parcours. Entre Nîmes et Beaucaire et Nîmes et Alès circulent des trains de première classe directs entre chaque terminus et des trains de seconde classe desservant tous les arrête intermédiaires.

Le prix du voyage varie selon les sections et la nature des voitures[69].

Les trains de marchandise circulent directement des mines à Beaucaire sans arrêt hormis ceux nécessaires au ravitaillement des locomotives. À la Grand’Combe, une série d’embranchements desservent les puits à l’aide de plans inclinés sur lesquels les wagons sont halés par des câbles mus par des machines fixes. Une fois chargés de houille, les wagons remontent le plan incliné, puis rejoignent la gare par gravité où les convois sont constitués. À Beaucaire, une voie spéciale raccordant la ligne au port permet le transbordement direct de la houille sur les bateaux.

La sécurité de la ligne est assurée par des gardes placés à des endroits suffisamment élevés pour être vus entre eux et par les mécaniciens. Le jour, un drapeau blanc signifie la voie libre et un rouge l’arrêt. La nuit des lanternes munies de verre de couleur assurent le même code.

Les résultats

(1839-1844) L’apprentissage et la montée en charge

Le début de l’exploitation se heurte à deux difficultés ; l’inexpérience des agents de la compagnie et l’ignorance du public (respect des horaires contrairement au service des diligences, fermeture de portes des gares avant le départ des trains…). Après quelques désagréments en 1840 consécutifs aux crues du Rhône, le transport de la houille prend son essor à partir de 1841. Cette envolée, est interrompue par une nouvelle crue du Rhône plus violente en octobre 1841, interrompant le trafic. On en profite pour installer la double voie sur une nouvelle portion du trajet Nîmes-Beaucaire et l’embranchement de la Grand’Combe à la Levade est étendu jusqu’à Trescol. En 1842, des inondations perturbent le trafic sur les canaux vers Sète et d’Arles à Bouc. Un nouvel embranchement est construit vers Champclauzon et la compagnie commande 4 nouvelles locomotives.

(source : G. Roselli)18391840184118421843
Recettes voyageurs137 608,0068 175,44515 584,95511 184,95501 412,25
Nb de voyageurs84 354-426 143373 531457 715
Recettes marchandises10 972,0810 987,07110 752,59177 617,33255 603,95
Recettes houille-144 714,20781 138,90871 830,821 215 439,41
Tonnes houille--136 219143 063184 024
Dépenses entretien
et frais généraux
123 368,1277 605,79807 456,44800 934,06955 856,05
Bénéfice25 212,50146 268,92620 000,00750 899,041 016 599,56

L’avenir s’annonçait favorable avec la perspective de l’ouverture des chemins de fer de Montpellier à Nîmes et de Marseille à Avignon. Toutefois aux recettes (bénéfice) s’imputent les dépenses de remboursement des prêts et notamment celui portant intérêt à 4 %, soit une charge de 600 000 F/an. À ces remboursements s’ajoutent les prélèvements destinés à alimenter la réserve légale. Enfin, les intérêts du prêt de l’État n’étaient pas remboursés. Les travaux de construction ont dépassé les devis initiaux et il faut apporter des améliorations continues à la voie (double voie sur l’étendue du réseau) ; en 1843, le capital engagé dépasse de 2,5 millions le capital social.

La compagnie ne dispose donc finalement que d’un faible bénéfice qui ne lui permet pas de distribuer aux actionnaires un dividende suffisant, faisant craindre une baisse du cours de l’action. Pour se libérer de sa dette envers le Trésor et financer les améliorations nécessaires à la ligne, la compagnie émet, fin 1843, 10 000 obligations dont 9 000 en souscriptions et 1 000 gardées en réserve en prévision de besoins éventuels. L’emprunt est souscrit complètement au premier semestre 1844.

Il s’agit de la première fois que le fonds social d’une compagnie de chemin de fer est constitué d’obligations.

(1844-1848) Maintien des performances malgré des incertitudes financières

Compte tenu du succès de l’emprunt, la compagnie peut s’acquitter de la dette envers le Trésor.

En 1844, l’accroissement du trafic engendre l’augmentation des dépenses d’exploitation (achat de 54 wagons pour le transport de la houille, amélioration de la signalisation fixe, remplacement des traverses). La mise en service des lignes Montpellier-Nîmes (rupture de charge entre les gares des deux compagnies) et Marseille-Avignon (retard dans la construction) ont peu d’effet sur le trafic. En mai et juin 1845, la compagnie peut rembourser la moitié du prêt de 6 millions consentit par l’État. La compagnie poursuit son effort pour améliorer l’exploitation (pose de 10 km de double voie, concentration à Nîmes des ateliers, tunnel pour faire communiquer la section venant des mines à celle d’Alès à Nîmes, installation du télégraphe). En 1846, la foire de Beaucaire n’attire pas autant de monde que les années précédentes. D'importants sinistres dans les puits de mines sont occasionnés par un violent orage. Néanmoins, la compagnie pose 4 km de double voie. La crise de 1846-1847, essentiellement d’origine agricole, a peu d’impact sur le trafic de la compagnie à vocation industrielle. L’exploitation n’est pourtant pas efficiente ; la double voie n’est posée que sur les portions où les besoins se font le plus sentir.

(source : G. Roselli)1844184518461847
Recettes voyageurs511 067,95572 767,90567 006,40577 440,25
Nb de voyageurs381 419422 500417 253432 179
Recettes marchandises218 316,25378 018,45318 398,70485 734,85
Recettes houille1 400 528,031 549 367,251 403 423,901 611 595,05
Tonnes houille216 296250 501243 219292 553
Dépenses entretien
et frais généraux
1 041 350,161 207 889,531 145 160,551 280 402,99
Bénéfice1 148 562,161 292 266,071 143 668,451 334 367,16

La situation paraissait satisfaisante, cependant le capital engagé dépassait encore le capital social ; il est donc envisagé de mettre en circulation les 1 000 obligations restées en réserve. Mais la situation économique ne se prête pas à cette opération. La compagnie préféra mettre en gage ces obligations auprès de banquiers contre des avances de fonds.

(1848-1852) La crise

En 1848, compte tenu des événements politiques consécutifs à la Révolution de février, la compagnie subit la forte baisse du cours des actions des chemins de fer, qui se poursuit par un effondrement des banques qui suspendent leurs avances et prêts. S’y ajoutent les troubles sociaux des journées révolutionnaires. En 1849, apparaît une timide reprise de l’activité locale contrebalancée par de mauvaises récoltes, le choléra, et une crise métallurgique dans le Centre faisant refluer vers le sud la houille non consommée et donc infléchissant le prix de la houille des Cévennes à la baisse. Face à la concurrence des transporteurs parallèles à la voie ferrée qui se sont organisés pour baisser leur prix, la compagnie demande une baisse de ses tarifs en avril 1849 mais l’administration n’y répond favorablement que début 1850. En 1850, la compagnie entreprend quelques travaux : renouvellement du ballast, entrepôt de charbon à Alès, double voie dans le tunnel des Pèlerins.

(source : G. Roselli)1848184918501851
Recettes voyageurs501 804,70516 141,60571 862,00584 796,25
Nb de voyageurs401 292482 848457 526465 919
Recettes marchandises285 186,65257 775,85326 833,55414 292,25
Recettes houille1 353 192,751 074 710,951 285 874,431 175 515,67
Tonnes houille225 564172 987199 677191 094
Dépenses entretien
et frais généraux
996 779,95972 138,791 018 134,081 020 266,72
Bénéfice1 143 404,15876 489,611 166 435,901 154 340,45

La situation financière de la compagnie, comme toutes les autres à cette époque, n’est pas brillante. Elle n’a pu rembourser le solde de trois millions du prêt consenti par l’État, ni même servir les intérêts de cette somme depuis février 1848. Le dividende versé aux actionnaires présente un arriéré considérable. La double voie n’est pas posée sur la totalité de la ligne, le matériel est en nombre insuffisant pour assurer un trafic convenable et en mauvais état, mettant en péril la sécurité.

Plusieurs raisons à cette situation :

  • un champ d’action limité ; par suite, des recettes très aléatoires du fait de faibles débouchés et de la forte sensibilité à un événement imprévisible aux conséquences immédiates (inondations, baisse de la fréquentation de la foire de Beaucaire, maladie dans les cultures…) alors que les frais généraux demeurent constants,
  • aucun effet réseau avec les lignes adjacentes (Montpellier-Nîmes, Montpellier-Sète, Nîmes-Beaucaire, Marseille-Avignon) : horaires ne permettant pas les correspondances entre les compagnies, tarifs non homogènes entre elles, rupture de charge pour passer d’une compagnie à l’autre.
  • des compagnies à l’assise financière aussi précaire n’étaient pas promptes, même avec l’aide de l’État, à investir dans des lignes d’embranchement peu productives pour desservir des localités moins importantes que réclamait pourtant l’intérêt général.
  • illogisme réglementaire des deux lignes La Grand’Combe-Alès et Alès-Beaucaire ; deux concessions distinctes (l'une à perpétuité, l’autre pour 99 ans), deux cahiers des charges différents avec une différenciation des prix par nature de marchandise trop restreinte pour permettre de répondre aux besoins spécifiques de la clientèle[70].
  • enfin, confier un service présentant un caractère d’intérêt général (satisfaire les besoins du commerce, de l’industrie et de l’agriculture) à une compagnie houillère ne semblait plus judicieux. Contrairement à l’objectif initial, onze ans après l’ouverture de la ligne, Marseille et Toulon restaient toujours clientes des houilles britanniques. Le prix de transport de la compagnie, inchangé depuis l’ouverture, était trop élevé et rendait la houille cévenole peu attractive. Si la compagnie houillère y trouvait un intérêt, par contre le développement du chemin de fer en pâtissait. À l’inverse, la charge du développement du chemin de fer pesait sur les disponibilités de la société houillère pour améliorer son propre développement dans l’extraction de la houille. À cet égard, au , sur 26 millions du capital, 19 avaient été employés pour l’établissement du chemin de fer et le matériel roulant, le solde seulement pour l’exploitation minière. Il fallait donc séparer les deux activités comme le préconisait la Commission centrale des chemins de fer en 1850[71].
Évolution comparée des trafics voyageurs, marchandises et houille des chemins de fer du Gard (1839-1851)
Récapitulatif de l'exploitation du chemin de fer
de la mise en service jusqu'au rachat.
AnnéeVoyageurs
(nb. de voyag.)
Marchandises
(en tonnes)
Houille
(en tonnes)
Produits nets
(en francs)
183925 212
1840146 268
1841426 14325 563136 219620 000
1842373 52135 680143 063750 899
1843457 71951 071184 0241 016 599
1844381 41948 595216 2961 148 562
1845422 50058 382250 5011 292 266
1846417 25352 806243 2191 143 668
1847432 17972 962292 5531 334 367
1848401 29242 965225 5641 143 404
1849482 84838 973172 987876 489
1850457 52658 129199 6771 166 435
1851465 91976 471191 0941 154 340

L’épilogue

La ligne du Gard ne peut donc survivre seule ; il faut l’intégrer à un ensemble plus vaste.

Avec le nouveau régime du Second Empire s’installe une nouvelle politique ferroviaire exposée par de Morny en 1852 à l’occasion du débat sur la loi relative au Lyon-Méditerranée[72] et qui se traduit ainsi :

programme des fêtes du centenaire (1839-1939).
  • concession de 99 ans, pour mieux assurer l’assise financière des compagnies (la part obligataire dans le capital des compagnies va devenir plus important que la part des actions. Or, l'amortissement des obligations est d'autant moins lourd financièrement que la durée de la concession est longue) ;
  • concession directe et non plus par adjudication, pour mieux jouer de la concurrence entre les postulants ;
  • décision par décret et non plus par la loi, pour faciliter l’octroi des concessions ;
  • concentration aux mains de groupes puissants, pour assurer la desserte de zones a priori peu propice à de lourds investissements.

le (la veille du coup d’État), intervient la loi de concession publique du Lyon-Avignon pour 99 ans à la société qui consentirait le plus grand rabais sur le montant de la subvention offerte par l’État (dernière exemple de concession par adjudication publique).

L’adjudication de la ligne est faite le au profit de la compagnie dirigée par Paulin Talabot qui projette de regrouper autour du Lyon-Avignon l’ensemble des compagnies du sud-est. À cette fin, intervient le un décret abrogeant les dispositions de la loi du interdisant aux compagnies de Lyon à Avignon et de Marseille à Avignon de fusionner.

Les autres compagnies n’opposent pas de difficulté à la fusion (convention du ), satisfaites de se décharger du « lourd fardeau que constituait pour elles l’exploitation d’un réseau improductif. »[73].

Pour prix de l’abandon de ses concessions de chemin de fer, la Société des mines de la Grand’Combe et des chemins de fer du Gard reçoit une annuité de 1 200 000 F en 30 obligations de 40 F d’intérêt garantie par l’État pendant cinquante ans et remboursable à 1 000 F dans une période de 99 ans à compter du . La société conserve la charge du remboursement des intérêts et l’amortissement des deux emprunts de 1840 et 1844 ainsi que la charge des intérêts de l’État de 1837[74]. L’entrée en jouissance est fixée au |.

La loi du [75] approuve la fusion des compagnies avec la compagnie de Lyon à Avignon qui prend la dénomination de Compagnie du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée le [76]. L’assemblée des actionnaires de la Compagnie de la Grand’Combe approuvent la convention de fusion le 10 octobre 1852.

C'est à partir du chemin de fer du Gard, que P. Talabot va constituer dans le Midi de la France la base de ses autres vastes entreprises. C'est également le début d'une association avec les Rothschild qui eurent en lui une grande confiance dans ses capacités industrielles et techniques.

Souvenir

Les deux pavillons latéraux de la gare primitive de Nîmes (1839) à l'entrée de la gare de marchandise PLM (c. 1910)[77].

À Nîmes, seul subsiste, aujourd'hui, l'un des deux pavillons latéraux de la gare primitive, aujourd'hui situé rue Sully.

Certains bâtiments originels (station, halle…), à l’architecture caractéristique d’une mode en vogue à l’époque en Grande-Bretagne, subsistent toujours de nos jours[78].

La numismatique ferroviaire compte des médailles de la Compagnie des Mines de la Grand’Combe et des chemins de fer du Gard :

  • hommage aux sociétaires fondateurs (sd) ;
  • constitution de la compagnie (1836).
Buste de Paulin Talabot dans la gare de Nîmes

Un buste de Paulin Talabot se trouve dans la gare de Nîmes avec une stèle sur sa base rappelant la construction de la ligne.

Notes et références

Bibliographie

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  • [Anonyme], projet de Statuts de la Société des mines de la Grand-Combe et des chemins de fer du Gard, passés devant maître Cahouet, notaire à Paris le .
  • [Anonyme], Statuts de la Société des mines de la Grand'Combe et des Chemins de fer du Gard, passés devant maître Cahouet, notaire à Paris le .
  • Jean Bouvier, Les Rothschild, coll. « Portraits de l’histoire », 1960, Paris, Club français du livre.
  • René Brossard (ing. de la voie à la Cie PLM), Les chemins de fer dans le Gard. Leurs origines, leur développement, in Nîmes et le Gard - tome II - publication de la ville de Nîmes à l'occasion du XLIe congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, 1912, Nîmes.
  • François Caron, Histoire des chemins de fer en France – tome 1 : 1740-1883, 1997, Paris, Librairie Arthème Fayard.
  • Xavier Daumalin et Marcle Courdurie, Vapeur et révolution industrielle à Marseille (1831-1857), coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille XIXe-XXe s. », Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence, 1997 (ISBN 2-900732-13-1).
  • Xavier Daumalin, « L'atelier de construction ferroviaire Louis Benet & Cie à la Ciotat (1839-1848) », Revue d'histoire des chemins de fer (revue de l'AHICF), 2003, Paris, no 28-29 printemps-automne.
  • Baron Alfred-Auguste Ernouf, Paulin Talabot, sa vie, son œuvre (1799-1885), 1886, Paris, Plon, Éditions Plon Lire en ligne. (Il s’agit davantage d’une hagiographie que d’une biographie. Pour Robert B. Carlisle in Les chemins de fer, les Rothschild, et les Saint-simoniens, c'est un « Ouvrage de piété ». Pour Louis Girard in La politique des travaux publics sous le Second Empire, c’est « une biographie officieuse. »).
  • Bertrand Gille, Recherche sur la formation de la grande entreprise capitaliste (1815-1848) , coll. « Affaires et gens d’affaires » (École pratique des hautes études – Ve section), 1959, Paris, SEPVEN.
  • Bertrand Gille, « Paulin Talabot : recherche pour une biographie », Revue d'histoire des mines et de la métallurgie, tome I, no 1, 1970, Jarville (diffusion : Librairie Droz - Genève).
  • Jean Lenoble, Les Frères Talabot, une grande famille d’entrepreneurs au XIXe siècle, 1989, Limoges, CCSTI Lucien Souny.
  • Georges Livet, La Grand'Combe à travers les âges, circa 1947 (opuscule édité par le comité des fêtes du centenaire de la commune de La Grand'Combe).
  • Robert R. Locke, Les Fonderies et forges d’Alais à l’époque des premiers chemins de fer (1829-1874), 1978, Paris, éditions Marcel Rivière et Cie.
  • Auguste Moyaux, Les chemins de fer autrefois et aujourd'hui et leurs médailles commémoratives. Notice historique suivie d'un atlas descriptif des médailles de tous les pays - 1905 Lire en ligne, 1910 (1er supplément), 1925 (second supplément), Bruxelles, Charles Dupriez éditeur.
  • Jacques Payen, La Machine locomotive en France, des origines au milieu du XIXe siècle, 1988, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988, Paris, Éditions du CNRS.
  • Alfred Picard, Les Chemins de fer français, étude historique (6 volumes), 1884, Paris Rothschild.
  • Adolphe Pieyre, Histoire de la Ville de Nîmes de 1830 jusqu’à nos jours, Nimes, Catelan éditeur, 1886, tome I lire en ligne
  • Georges Ribeill, La révolution ferroviaire. La formation des compagnies de chemins de fer en France (1823-1870), 1993, Paris, éditions Belin (ISBN 2-7011-1256-7).
  • Hector Rivoire, Statistique du département du Gard, Tome premier, 1842, Nîmes lire en ligne
  • Gabriel Roselli, Les origines d’une ligne de chemin de fer (La Grand’Combe – Beaucaire) 1830-1852, 1931, Université de Montpellier (thèse de droit).
  • Christiane Scelles, Gare. Ateliers du voyage 1837-1937, 1993, Paris, R.E.M.P.A.R.T. - 1993, Desclée de Brouwer, (ISBN 2-220-03436-4).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes