Dissolution parlementaire (France)

dissolution parlementaire en France

En France, le droit de procéder à une dissolution parlementaire, qui consiste à mettre prématurément fin au mandat d'une chambre du parlement, est attribué au chef de l'État ou, plus exceptionnellement, au gouvernement voire à l'une des chambres, et ce dans différents régimes depuis 1802 : Premier Empire, Restauration, monarchie de Juillet, Troisième, Quatrième et Cinquième républiques.

Schéma décrivant le fonctionnement théorique d'un régime parlementaire : dissolution et renversement du gouvernement s'équilibrent.
La théorie du régime parlementaire.

Elle est d'abord introduite, au profit du Sénat conservateur, dans la constitution de l'an X (1802). Toutefois, la dissolution, au sens véritablement parlementaire, est née en France à la Restauration, dans la charte de 1814 (article 50). L'usage de la dissolution a d'abord été assez conforme à la théorie parlementaire, avant de devenir, avec Charles X, une prérogative autoritaire. Sous la monarchie de Juillet, l'article 42 de la charte de 1830 prévoit à nouveau la dissolution, mais, cette fois-ci, un véritable système de responsabilité ministérielle se met en place. Les deux procédés s'équilibrent — motion de censure contre dissolution, — de telle sorte que la France connaît son premier régime parlementaire authentique, où le gouvernement devient réellement le point de contact entre ces deux organes fondamentaux que sont le monarque et la chambre élue.

Hors de la tradition parlementaire, le Second Empire, régime autoritaire, reconnaît à l'empereur le droit de dissoudre le Corps législatif.

Les lois constitutionnelles de 1875 reprennent le mécanisme orléaniste de la dissolution, en l'adaptant. Toutefois, la crise du 16 mai 1877 rend le procédé odieux aux républicains, et la dissolution ne sera plus utilisée durant le reste de la Troisième République, permettant ainsi à l'instabilité de la Chambre des députés de se développer sans sanction, ce qui entraîne une instabilité ministérielle s’aggravant de décennie en décennie.

Les constituants en 1946, édifiés par l'histoire récente de la France, maintiennent le droit de dissolution, mais en font une « dissolution automatique » face à l'instabilité de la chambre, et non une prérogative discrétionnaire du pouvoir exécutif. La pratique constitutionnelle de la Quatrième République a montré les limites de l'encadrement trop poussé du droit de dissolution : alors que les gouvernements tombaient sans répit, une seule dissolution eut lieu, en 1955. La constitution de 1958 a donc mis fin à l'encadrement de la dissolution : désormais, elle est une prérogative discrétionnaire du président de la République définie par son article 12.

Toutefois, la stabilité des majorités parlementaires acquise depuis les élections législatives de 1962 a fait disparaître la menace de la motion de censure sur les gouvernements. La dissolution, sous la Cinquième République, présente donc un visage différent de ce que la théorie du régime parlementaire enseigne : elle a été utilisée une seule fois pour résoudre un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (en 1962), tandis que les autres dissolutions réalisées obéissent à des logiques différentes.

Naissance de la dissolution d'une chambre élue en droit français : le Consulat

« Le Sénat, par des actes intitulés sénatus-consultes, […] dissout le Corps législatif et le Tribunat ; »

— Extrait de l'article 55 du sénatus-consulte organique de la Constitution du 16 thermidor an X (4 août 1802).

Le « sénatus-consulte organique de l'an X[N 1] », qui a instauré le Consulat à vie, ou « Consulat viager », est également le premier texte constitutionnel à mentionner la possibilité de mettre fin au mandat d'une des chambres législatives.

La procédure retenue est tout à fait exceptionnelle, et elle témoigne de ce que Napoléon Bonaparte n'envisageait pas le régime naissant comme un régime parlementaire, mais bien plutôt comme un régime autoritaire[m 1]. En effet, la dissolution du Tribunat ou du Corps législatif, deux des chambres d'un parlement tricaméral, est effectuée par un acte pris par le Sénat conservateur (un « sénatus-consulte »), mais dont l'initiative est réservée au gouvernement, c'est-à-dire au premier consul[m 2] (article 56 du sénatus-consulte). Il s'agit ici d'un mécanisme étrange, visant à assurer la soumission de chambres aux pouvoirs déjà restreints, et il est, à cet égard, notable de voir qu'aucun délai n'était prévu pour la convocation de la chambre renouvelée[m 1].

Sous la Restauration

Le roi Charles X, dont l'intransigeance a mis fin à la Restauration.

« Le Roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois. »

— Article 50 de la charte constitutionnelle du 4 juin 1814.

Dès le projet de constitution proposé par le Sénat conservateur en [N 2], le droit, pour le monarque, de dissoudre la chambre basse du parlement apparaît. La charte constitutionnelle de 1814 confirme cette prérogative, largement admise par la pensée constitutionnelle de l'époque[m 3],[N 3].

Il s'agissait, au départ, pour les rédacteurs du texte, de garantir la prééminence du roi de France, et d'empêcher la Chambre des députés d'empiéter sur ses prérogatives[m 4]. Toutefois, il est rapidement devenu évident que la prééminence royale ne pouvait reposer que sur le soutien de la chambre basse à la politique menée par le gouvernement — soutien rendu difficile par l'inorganisation en partis politiques, — et donc sur un mécanisme réellement parlementaire de confiance du parlement dans le ministère. Dans ces conditions, le recours à la dissolution pour mettre fin à un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif revenait à faire du corps électoral (restreint à cause du suffrage censitaire) « l'arbitre en dernier ressort des institutions[m 4] ».

Une utilisation parlementaire du droit de dissolution jusqu'en 1830

Les trois dissolutions (en 1816 ; 1824 ; 1827) qui eurent lieu avant l'année 1830 sont toutes conformes à la théorie du régime parlementaire[N 4].

La première dissolution, le , correspond au cas où la majorité parlementaire est en conflit avec le gouvernement. En effet, la Chambre des députés élue en août 1815, la « Chambre introuvable », dont la majorité est ultra-royaliste, souhaite dominer le ministère Richelieu[m 5]. Afin de sauvegarder ses prérogatives gouvernementales contre l'emprise de la majorité parlementaire, Louis XVIII, poussé par Decazes, ministre de la Police, dissout la chambre basse, demandant au corps électoral d'arbitrer le conflit. Les élections sont d'ailleurs un large succès pour le roi et le gouvernement[m 5].

Les deux autres dissolutions, en 1824 et 1827, correspondent à une deuxième hypothèse, où le roi prévient, par la dissolution, un conflit possible entre le gouvernement et la chambre basse. À chaque fois, Charles X souhaite protéger le ministère Villèle, dont la majorité, qui existe toujours, est affaiblie à cause de circonstances politiques. Les élections de 1824 soutiennent le gouvernement Villèle, mais celles de 1827 amènent une majorité modérée. Le roi en tire la seule conséquence logique sur le plan politique, en nommant un modéré à la tête d'un nouveau ministère : c'est le gouvernement Martignac[m 5].

La dérive autoritaire : la dernière dissolution de 1830

En , renvoyant le ministère Martignac, modéré, Charles X nomme un ultra-royaliste, Jules de Polignac à la tête d'un nouveau gouvernement. Afin de résoudre le conflit entre la Chambre des députés, modérée, et le gouvernement ultra-royaliste, le roi fait appel, le , au corps électoral, conformément à la tradition parlementaire[m 5].

La logique parlementaire est en revanche battue en brèche lorsque Charles X refuse d'accepter le verdict des élections législatives, favorables aux modérés. Face au « pays légal », qui ne partage pas ses opinions politiques, il utilise l'article 14 de la charte de 1814[N 5] comme fondement juridique à une nouvelle dissolution, le , avant même la réunion de la nouvelle chambre[m 6] : une des quatre « ordonnances de Saint-Cloud » est justement celle qui dissout la Chambre des députés. Cette dissolution, ordonnée, n'eut jamais lieu en raison de la révolution des Trois Glorieuses.

En refusant le verdict des urnes en 1830, Charles X impose une vision autoritaire du système né en 1814, où la dissolution perd son caractère parlementaire, pour n'être plus qu'un outil de domination sur la chambre basse. Un véritable blocage constitutionnel naît ici, qui sera tranché, in fine, par la révolution des Trois Glorieuses[m 5].

Sous la monarchie de Juillet

Le roi Louis-Philippe Ier, premier véritable monarque parlementaire français.

« Le Roi convoque chaque année les deux Chambres : il les proroge et peut dissoudre celle des Députés ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois. »

— Article 42 de la charte constitutionnelle du 14 août 1830.

La charte du 14 août 1830 n'est guère modifiée dans son texte même : les députés n'apportent que des retouches d'importance moyenne au texte de la charte de 1814[m 7]. L'essentiel du changement constitutionnel tient dans la conception nouvelle du texte : là où Louis XVIII avait fermement entendu « octroyer  » la charte de 1814, Louis-Philippe Ier réalise un « pacte » avec la nation[c 1]. Si la nature de la légitimité à régner de Louis-Philippe Ier demeure controversée, entre ceux qui considèrent qu'il règne « parce que Bourbon[c 2] » — légitimité monarchique issue du droit du sang (Guizot), — et ceux qui pensent que la légitimité provient du peuple, Louis-Philippe Ier régnant alors « quoique Bourbon[c 3] » (Dupin), il n'en demeure pas moins que les deux théories s'accordaient à voir la nouvelle charte comme un pacte conclu entre le pays et le roi, et non plus comme une manifestation de la volonté unilatérale du monarque[m 8].

L'esprit général des institutions est transformé par les circonstances de la conception de la charte : à la négation de la souveraineté nationale que représentait la charte de 1814, se substitue un régime né d'une révolution et d'un appel fait par la chambre élue à un autre souverain. Désormais, deux centres de pouvoir distincts émergent donc : le roi et la chambre élue[m 6]. La charte de 1830 n'étant guère plus détaillée que sa devancière, il est surtout revenu à la pratique politique de mettre en œuvre ce compromis, mais l'essence du régime est d'ores et déjà parlementaire[m 6].

Une utilisation conforme à la théorie parlementaire

La pratique institutionnelle de la monarchie de Juillet est très riche en utilisations du droit de dissolution : aucune législature n'a terminé son mandat normal de cinq années[c 4]. On peut ainsi distinguer six dissolutions[m 9],[1],[2]:

Ces nombreuses dissolutions n'ont jamais soulevé de protestations dans le pays, malgré l'usage intensif du procédé, qui aurait pu s'apparenter à un abus[c 4]. Bien souvent, la dissolution était réalisée à l'initiative du gouvernement, qui pouvait ainsi choisir le moment le plus opportun pour tenir de nouvelles élections, procédé parfaitement conforme au parlementarisme à l'anglaise[c 4].

Un système politique privant la dissolution de ses effets

Toutefois, malgré sa fréquente utilisation, le droit de dissolution n'eut guère d'effet, en dehors de la tenue des élections elle-même[m 10]. Les ministères, qui auraient dû bénéficier, grâce à la dissolution, de majorités renforcées et suffisantes pour mener une politique, sont sortis des élections aussi affaiblis qu'ils y étaient entrés, l'élection de 1846 mise à part[m 10].

La principale cause de ce manque d'effet est l'inorganisation des partis politiques : au contraire du modèle anglais, dominé à l'époque par les whigs et les conservateurs, le régime français pâtit de l'absence de partis qui structureraient le vote, la composition de la chambre, et définiraient des options politiques claires pour l'électeur[m 10].

Le résultat de cette inorganisation du vote est l'absence de majorité stable jusqu'en 1840, et l'inutilité, dans la quasi-totalité des cas, des élections, qui ne dégagent aucune majorité claire pour mener une politique définie[m 10]. La seule dissolution « réussie », en 1846, qui donne au ministère Guizot une majorité conservatrice renforcée, est un échec paradoxal : du fait du caractère censitaire du suffrage, la chambre n'est guère représentative des tendances politiques réelles du pays. Il s'ensuit que, appuyée sur une ferme majorité, la politique conservatrice et immobiliste en matière de loi électorale, que mène Guizot, finit par devenir insupportable au « pays réel », qui se révolte (révolution de 1848)[m 10].

Sous la Seconde République de Bonaparte puis sous le Second Empire

L'empereur Napoléon III, vers 1860.
Crévera ! Crévera pas !
Le nuage noir de la dissolution, caricature d'Honoré Daumier, série « Actualités » dans Le Charivari, le .

Totalement absent de la constitution de 1848, le droit de dissolution reparaît avec la nouvelle constitution que Louis-Napoléon Bonaparte fait rédiger, sur la base du plébiscite qui a immédiatement suivi le coup d'État du 2 décembre 1851. L'instauration, à la fin de l'année 1852, du Second Empire, ne change pas les textes constitutionnels : le texte du 14 janvier 1852, qui mettait en place la « république décennale[N 7] », reste en vigueur, modifiée par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852.

« Le président de la République convoque, ajourne, proroge et dissout le Corps législatif. En cas de dissolution, le président de la République doit en convoquer un nouveau dans le délai de six mois. »

— Article 46 de la constitution du 14 janvier 1852.

« En cas de dissolution du Corps législatif, et jusqu'à une nouvelle convocation, le Sénat, sur la proposition du président de la République, pourvoit, par des mesures d'urgence, à tout ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement. »

— Article 33 de la constitution du 14 janvier 1852.

Entre 1852 et 1870, de nombreuses modifications constitutionnelles sont adoptées. Toutefois, durant cette période, le seul changement concernant la dissolution est l'adoption, par le peuple, d'une nouvelle constitution, après le plébiscite du 8 mai 1870 : le « sénatus-consulte du 21 mai 1870 fixant la Constitution de l'Empire ». Ce nouveau texte n'apporte qu'un léger changement à celui en vigueur depuis 1852, en supprimant la possibilité, pour le Sénat, de pourvoir par des mesures d'urgence aux nécessités liées à la marche de l'État, jusqu'à la convocation du Corps législatif après sa dissolution : la constitution de 1870 instaure un véritable bicaméralisme égalitaire entre les deux chambres[m 11].

« L'empereur convoque, ajourne, proroge et dissout le Corps législatif.

En cas de dissolution, l'empereur doit en convoquer un nouveau dans un délai de six mois.

L'empereur prononce la clôture des sessions du Corps législatif »

— Article 35 du sénatus-consulte du 21 mai 1870 fixant la Constitution de l'Empire.

En raison des différents procédés mis en œuvre pour « neutraliser » le suffrage universel et le rendre conforme aux volontés du pouvoir politique (comme les « candidatures officielles »), le Corps législatif ne fut jamais une chambre dangereuse pour le gouvernement. Une seule dissolution a ainsi eu lieu[m 12], en 1857. Napoléon III souhaita en effet écourter d'une année le mandat du premier Corps législatif, afin de montrer à toute l'Europe que le régime impérial était populaire[3].

Sous la Troisième République

La dissolution de l'Assemblée nationale est visée en ces termes à l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 :

« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat.

En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois. »

— Article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics.

Portrait officiel du président Mac Mahon, initiateur de la crise du 16 mai.

L'apparition de la dissolution dans un régime républicain

C'est la première fois qu'un régime républicain en France prévoit un droit de dissolution, au profit d'une autorité exécutive, contre la chambre élue au suffrage universel. Ce pouvoir est une « importation » directe depuis la charte de 1830, dont les lois constitutionnelles sont inspirées[m 13]. Le délai de « trois mois » lui-même reprend une disposition similaire de l'article 42 de la charte de 1830.

Le point original de la dissolution sous la Troisième République est le rôle très important du Sénat : celui-ci dispose de la faculté d'autoriser ou non la dissolution. Il est ainsi placé en position d'arbitre des conflits entre le président et la Chambre des députés[m 13]. La solution pouvait paraître tempérer le pouvoir exorbitant, aux yeux des républicains, que l'on donnait là au président de la République — et il est significatif que l'amendement ayant inclus cette autorisation préalable soit venu de Henri Wallon, « le père de la République », — mais elle rendait surtout l'hypothèse de la dissolution très improbable si les majorités des deux chambres concordaient[m 13].

La crise du 16 mai 1877 : première et dernière utilisation de la dissolution

Cette prérogative, fondamentale en régime parlementaire, n'a été utilisée qu'une fois sous la Troisième République, lors de la crise du 16 mai 1877, par le président Mac Mahon[L 1]. Si la dissolution était conforme à la lettre et à l'esprit orléaniste de la constitution[m 14], elle fut considérée par les républicains comme une tentative de coup d'État par les monarchistes, car elle faisait suite au refus des chambres d'investir des gouvernements choisis par le président de la République issu du camp monarchiste.

Ainsi « grevée d'une hypothèse d'antirépublicanisme[c 5] », la dissolution déjà mal vue des républicains, fut abandonnée définitivement par la Troisième République, et timidement réintroduite par la Quatrième. Le 6 février 1879, le nouveau président Jules Grévy, dans le message adressé aux chambres pour le remercier de son élection à la présidence de la République le 30 janvier de la même année, a ces mots fameux : « Je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels[m 14]. »

Désormais, avec un Sénat majoritairement républicain depuis le , et une présidence républicaine, le droit de dissolution tombe dans l'oubli, modifiant si radicalement l'interprétation de la constitution que l'on a parlé de « constitution Grévy[m 14] ». Le gouvernement, sans la protection de la dissolution, se retrouve malmené sans cesse par les deux chambres du parlement, et l'instabilité de la Troisième République trouve là ses racines.

La réflexion constitutionnelle française, après 1918, devant la crise profonde que connaissait le régime, proposa parfois de réintroduire la dissolution dans la pratique politique, en la libérant de l'avis conforme du Sénat, et, dans certains projets, en la confiant au président du Conseil : ainsi le projet de réforme de l'État de Gaston Doumergue. Les réformes proposées ne furent jamais adoptées.

Sous la Quatrième République

La dissolution dans le projet de constitution d'avril

Le premier projet constitutionnel rédigé par la première Assemblée constituante comportait deux hypothèses de dissolution. D'abord, l'article 84 du projet prévoyait un mécanisme sensiblement équivalent à celui de l'article 51 de la constitution de 1946[N 8], où la survenance de deux crises dans une même session annuelle, dans les conditions prévues par la constitution, aurait pu emporter la dissolution de la chambre unique, si la moitié de la législature était déjà écoulée. Cette dissolution aurait été décidée en Conseil des ministres, et ordonnée par décret du président de la République[m 15]. Par ailleurs, comme dans le texte définitif, la dissolution par le gouvernement aurait fait, en même temps, totalement disparaître celui-ci, là où la constitution définitive ne renverra que le président du Conseil et le ministre de l'intérieur.

La procédure la plus originale était celle prévue par l'article 83 du projet :

« L'Assemblée nationale a le droit de prononcer sa dissolution par une résolution votée à la majorité des deux tiers des députés. »

— Article 83 du projet de constitution du 19 avril 1946.

Cette procédure serait revenue, pour l'Assemblée, à vouloir mettre fin à une large majorité à ses propres divisions[m 15].

Dans les deux cas, il faut noter que l'initiative de la dissolution serait revenue, directement ou indirectement, à la chambre uniquement : le droit de dissoudre n'était absolument pas considéré comme un moyen, pour le gouvernement, de se protéger de la chambre[m 15].

Le maintien d'une procédure contraignante dans la constitution définitive

La dissolution de l'Assemblée nationale uniquement, non du Conseil de la République, est prévue par deux articles :

« Si, au cours d'une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l'Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l'Assemblée. La dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de la République.

Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'à l'expiration des dix-huit premiers mois de la législature. »

— Article 51 de la constitution de 1946.

« En cas de dissolution, le cabinet, à l'exception du président du Conseil et du ministre de l'intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes.

Le président de la République désigne le président de l'Assemblée nationale comme président du Conseil. Celui-ci désigne le nouveau ministre de l'intérieur en accord avec le bureau de l'Assemblée nationale. Il désigne comme ministres d'État des membres des groupes non représentés au gouvernement.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins, trente jours au plus après la dissolution.

L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le troisième jeudi qui suit son élection »

— Article 52 de la constitution de 1946.

Une procédure très complexe

René Coty, premier président à avoir signé un décret dissolvant une chambre élue depuis 1877.

En réaction aux excès de la Troisième République, qui avaient été, en partie, rendus possibles par la disparition, dans les faits, du droit de dissolution après la crise du 16 mai 1877, les constituants de 1946, que ce soit dans le projet de constitution d'avril, refusé par référendum[N 9],[m 16], ou dans celui, accepté, d'octobre, ont prévu une dissolution.

Toutefois, il ne s'agit pas d'un pouvoir de dissolution discrétionnaire du chef de l'État, comme dans les lois constitutionnelles de 1875. La dissolution appartient en effet au Conseil des ministres, qui l'exerce sous deux conditions : deux crises ministérielles, au moins, doivent avoir eu lieu dans les conditions des articles 49 et 50 de la constitution, au cours d'une même période de dix-huit mois, et l'on doit se trouver dans la période au-delà des dix-huit premiers mois de la législature. On se trouve ici face à un « raffinement technique[c 6] » de la dissolution, mais aussi face à un véritable « mécanisme », presque automatique, qui n'a rien de commun avec la dissolution parlementaire traditionnelle, qui est le contrepoids de la responsabilité du gouvernement[c 6].

Il faut par ailleurs remarquer que cette dissolution est une arme unique d'anéantissement mutuel : dissoudre l'Assemblée nationale oblige le président du Conseil à quitter ses fonctions, et à être remplacé par le président de l'Assemblée dissoute. Les constituants craignaient que le maintien du président du Conseil ayant dissous la chambre n'ait une influence sur les élections à venir[m 16]. Cette disposition montre que la dissolution n'est pas conçue ici comme une manière de mettre fin au conflit entre le gouvernement et la chambre, mais comme une manière de sortir l'Assemblée nationale d'une situation inextricable, où aucune majorité ne se dégage[c 6].

Un mécanisme incapable de mettre fin à l'instabilité ministérielle

Le caractère très mécanique de la dissolution a eu un défaut majeur : le gouvernement reste, en réalité, sans défense face aux humeurs de la chambre, puisqu'il ne peut dissoudre que si des conditions très précises sont réunies. Ces conditions rendent, en pratique, la dissolution inutile.

La pratique institutionnelle héritée de la Troisième République n'a en effet pas tardé à reprendre le dessus : les gouvernements n'ont pas eu le courage de résister face à l'Assemblée nationale, alors que les mécanismes constitutionnels de censure n'étaient pas utilisés. La « question de confiance », notamment, constitutionnellement encadrée, a été rarement posée par le président du Conseil, qui préférait simplement prévenir que, si l'Assemblée ne votait pas comme il le lui demandait, il démissionnerait[m 17]. Cette « pseudo-question de confiance[m 18] » empêche de comptabiliser la chute du gouvernement, pourtant provoquée par la chambre, dans les crises ministérielles de l'article 51.

L'Assemblée nationale a utilisé une autre méthode, le « vote calibré » : elle s'arrangeait pour refuser la confiance à une majorité inférieure à celle prévue par la constitution, de façon à montrer au gouvernement qu'elle le désavouait, sans que la chute provoquée soit comptée[m 18]. On distingue clairement, dans ce cas, le poids de la tradition de la Troisième République, le poids des usages[m 17].

Ainsi détournée, la constitution, qui s'en préoccupait déjà mal, ne protégeait plus le gouvernement. Malgré l'instabilité ministérielle record — vingt-quatre gouvernements en onze années, avec des périodes de crise entre deux gouvernements de plus en plus longues, jusqu'à un mois pour former un nouvel attelage, — une seule dissolution eut lieu, le , alors qu'Edgar Faure était président du Conseil[L 2].

Tableau récapitulatif de l'usage de la dissolution avant la Cinquième République

Tableau récapitulatif des dissolutions ayant lieu avant 1958
Date de la dissolutionAuteur de la dissolutionNouvelles électionsLégislatureNom de la chambre dissouteRéférence
Ancienne (date d'élection)Nouvelle
Restauration (1815-1830)
Louis XVIII, roi de France14 et 28 août 1815Chambre des Cent-Jours (mai 1815)« Chambre introuvable » (Ire législature)Chambre des représentants[L 3],[m 19]
25 septembre et 4 octobre 1816« Chambre introuvable » (1815)IIe législatureChambre des députés[L 4],[m 4]
25 février et 6 mars 1824IIIe législature (1820)IVe législature (« Chambre retrouvée »)[m 19]
Charles X, roi de France17 et 24 novembre 1827IVe législature (1824)Ve législature[L 5],[m 19]
5, 13 et 19 juillet 1830Ve législature (1827)(VIe législature) Ire législature de la monarchie de Juillet[T 1][L 6],[m 19]
Aucune[T 2]VIe législature (1830)Aucune[L 7],[m 5]
Monarchie de Juillet (1830-1848)
Louis-Philippe Ier, roi des Français5 juillet 1831Ire législature (1830)IIe législatureChambre des députés[L 8],[m 6]
21 juin 1834IIe législature (1831)IIIe législature[L 9],[m 6]
4 novembre 1837IIIe législature (1834)IVe législature[L 10],[m 20]
2 et 6 mars 1839IVe législature (1837)Ve législature[L 11],[m 20]
9 juillet 1842Ve législature (1839)VIe législature[L 12],[m 21]
1er août 1846VIe législature (1842)VIIe législature[m 20]
Deuxième République (1848-1852)
[T 3]Gouvernement provisoire23 et 24 avril 1848VIIe législature de la monarchie de Juillet (1846)Assemblée nationale constituanteChambre des députés[L 13],[m 22]
Second Empire (1852-1870)
Napoléon III, empereur des Français21 juin et 5 juillet 1857Ire législature (1852)IIe législatureCorps législatif[L 14],[m 23]
Troisième République (1870-1940)
[T 4]Gouvernement de la Défense nationale8 février 1871[T 5]IIIe législature (1869)Assemblée nationale constituanteCorps législatif[L 15]
[T 6]Patrice de Mac-Mahon, président de la République française14 et 28 octobre 1877Ire législature (1876)IIe législatureChambre des députés[L 1],[m 24]
Quatrième République (1946-1958)
Gouvernement Edgar Faure2 janvier 1956IIe législature (1951)IIIe législatureAssemblée nationale[L 2]
Notes du tableau

Sous la Cinquième République

Le mécanisme de la dissolution sous l'empire de la constitution de 1958

Michel Debré, garde des sceaux en 1958, l'un des principaux rédacteurs de la constitution de 1958.

Le droit de dissolution est prévu par l'article 12 de la constitution :

« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections. »

— Article 12 de la constitution de 1958.

Il s'agit ici d'un mécanisme extrêmement simple, a contrario de celui adopté dans la constitution de 1946 : c'est une « compétence quasi-discrétionnaire[4] » du président de la République : les seules obligations constitutionnelles sont la consultation préalable du Premier ministre et des deux présidents des chambres parlementaires, qui ne donnent qu'un avis purement consultatif[4]. L'exercice du droit de dissolution est par ailleurs l'une des prérogatives dispensées de contreseing ministériel (article 19 de la constitution).

Trois limitations toutefois sont prévues par la constitution, d'une importance relative :

  • le président ne peut ainsi dissoudre l'Assemblée nationale pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16 de la constitution ;
  • la dissolution est également interdite lorsque le président du Sénat exerce l'intérim de la présidence de la République (article 7 de la constitution) ;
  • le président ne peut dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale pendant l'année qui suit une dissolution : il s'agit d'une traduction de l'adage « dissolution sur dissolution ne vaut », né de la double dissolution de 1830 tentée par Charles X[5].

La dissolution ne peut porter que sur l'Assemblée nationale, non sur le Sénat : seule la première peut renverser le gouvernement, donc elle seule peut être dissoute. L'équilibre du régime est parlementaire sur le papier, le droit de renverser le gouvernement étant équilibré par le droit de renvoyer la chambre - bien qu'à la différence de la plupart des autres régimes parlementaires, ce droit de dissolution soit en France entre les mains du président et non du Premier ministre, ce qui amène une partie de la doctrine à préférer la qualification de régime semi-présidentiel.

Une dissolution aménagée face à l'échec de la Quatrième République

Les propositions de modification de la dissolution dans la constitution de 1946

Dès la Quatrième République, minée par l'instabilité ministérielle, le retrait de toute entrave à la dissolution eut des partisans, Paul Reynaud, Edgar Faure notamment[m 25], tant il était évident que le mécanisme complexe créé par la constitution de 1946 n'empêchait en rien la chute des gouvernements les uns après les autres. René Mayer propose également d'octroyer au seul président du Conseil le droit inconditionnel de dissoudre l'Assemblée nationale, afin de faire réfléchir la chambre basse lors des votes de défiance[6].

La période finale du régime fut marquée par des propositions réfléchies d'améliorations voire de transformations de la constitution. Georges Vedel rédigea des rapports préconisant la mise en place d'un régime présidentiel : selon lui, la cause principale de l'instabilité du système français était l'éclatement du champ politique en une myriade de petits partis. Toute tentative constitutionnelle de réforme ne pouvait que se heurter à cet écueil, qui, à lui seul, rendait les majorités instables et les gouvernements fragiles[m 25],[N 10].

En 1958, année finale de la Quatrième République, deux projets de révision constitutionnelle sont proposés, l'un par Félix Gaillard (le ), l'autre par Pierre Pflimlin (le ), alors que chacun était président du Conseil[m 26]. Le projet Gaillard, en particulier, proposait deux hypothèses de dissolution dans la nouvelle rédaction de l'article 51 :

  • le président du Conseil aurait pu à tout moment proposer au Conseil des ministres de dissoudre l'Assemblée nationale, sauf lorsque le gouvernement aurait été renversé ;
  • le président de la République, lorsque deux crises ministérielles seraient survenues en dix-huit mois, ou lorsqu'aucun gouvernement ne serait parvenu à être investi par la chambre, aurait pu décider, seul, de dissoudre l'Assemblée nationale pour résoudre la crise[7].

L'Assemblée nationale, le , vote le projet Gaillard, en y ayant apporté des modifications substantielles. Le Conseil de la République, saisi, n'eut pas le temps de se prononcer avant la crise de mai 1958[8].

La dissolution dans le système institutionnel de 1958

La rédaction de la constitution

Le putsch d'Alger, le , a mis un terme brutal à ces tentatives de révision, qui avaient pourtant été adoptées par l'Assemblée nationale[m 26]. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 organise une procédure de révision dérogatoire, qui confie au gouvernement de Charles de Gaulle le soin de rédiger la future constitution. Le secundo et le tertio de l'article unique de la loi, en particulier, prévoient que :

« Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ;

Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement. »

Sur cette base, le gouvernement va, dans la phase de rédaction, s'inspirer de la réflexion constitutionnelle, fertile depuis l'entre-deux-guerres. Concernant le droit de dissolution, le projet n'est guère original : il est définitivement libéré de toute entrave, mettant ainsi en œuvre une réforme maintes fois proposée[m 27]. Dès le , le général de Gaulle indique au comité interministériel, récemment mis en place, que le droit de dissolution devait appartenir au chef de l'État, et qu'il devait pouvoir l'employer sans condition[9]. Le , parmi les articles rédigés sur le président de la République, l'article 9 contient, à l'identique, le premier alinéa de l'actuel article 12[9].

L'avant-projet de constitution, préparé par le gouvernement assisté de deux organes, contient, presque identiques à l'article final, les dispositions concernant la dissolution :

« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins, quarante jours au plus, après la dissolution.

L'Assemblée nationale se réunit de plein le troisième jeudi qui suit son élection.

Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit cette élection. »

— Article 10 de l'avant-projet de constitution[10].

Le Comité consultatif constitutionnel ne modifie presque pas l'article[N 11]. D'une manière générale, dans les conseils de Cabinet des 23 et 25 , ou devant le Comité consultatif ou le Conseil d'État, la dissolution, telle que proposée dès le début, n'a rencontré aucune résistance[9].

Une dissolution pleinement parlementaire

Michel Debré, dans le discours qu'il fait au Conseil d'État le en présentant l'avant-projet, relu par le Comité consultatif, dit explicitement que : « Le gouvernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serai même tenté de dire qu'il veut l'établir, car pour de nombreuses raisons, la République n'a jamais réussi à l'instaurer[11]. »

Le garde des sceaux met ici l'accent sur la nature parlementaire des nouvelles institutions, à laquelle il a particulièrement collaboré[12]. Plus loin dans le discours, il revient sur la dissolution :

« Est-il besoin d'insister sur ce que représente la dissolution ? Elle est l'instrument de la stabilité gouvernementale. Elle peut être la récompense d'un gouvernement qui paraît avoir réussi[N 12], la sanction d'un gouvernement qui paraît avoir échoué. Elle permet entre le chef de l'État et la nation un bref dialogue qui peut régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive[13]. »

Cette « interprétation parlementaire » de la constitution de 1958, que les faits allaient fortement nuancer, était partagée par la plupart des intervenants dans la rédaction, ce qui explique le peu de résistance rencontrée par la mise en place de certains pouvoirs du président, comme la dissolution, qui n'était, en somme, qu'un pouvoir d'arbitrage institutionnel[14].

Ainsi, à l'origine, la dissolution apparaissait pleinement comme l'un des outils de ce « parlementarisme rationalisé » que la Cinquième République a mis en place. Elle était la contrepartie nécessaire à la responsabilité du gouvernement, et elle fonctionnait à la discrétion du président de la République, en tant qu'arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Les pratiques de la dissolution sous la Cinquième République

Tableau récapitulatif de l'utilisation de la dissolution sous la Cinquième République
Décret de dissolutionPrésident de la RépubliqueAssemblée dissouteNouvelle Assemblée
LégislatureLégislatureÉlections
10 octobre 1962[L 16]Charles de GaulleIre législatureIIe législature18 et 25 novembre 1962
30 mai 1968[L 17]Charles de GaulleIIIe législatureIVe législature23 et 30 juin 1968
22 mai 1981[L 18]François MitterrandVIe législatureVIIe législature14 et 21 juin 1981
14 mai 1988[L 19]François MitterrandVIIIe législatureIXe législature5 et 12 juin 1988
21 avril 1997[L 20]Jacques ChiracXe législatureXIe législature25 mai et 1er juin 1997

Les deux dissolutions du président de Gaulle

Charles de Gaulle, premier président de la Cinquième République.

Durant ses dix années de présidence, Charles de Gaulle a utilisé deux fois la dissolution : en 1962 et en 1968.

La dissolution de 1962, typiquement parlementaire

La toute première dissolution de la Cinquième République met parfaitement en œuvre la théorie parlementaire du droit de dissolution, qui fait du peuple l'arbitre du conflit entre exécutif et législatif. En effet, le , l'Assemblée nationale, en application de l'article 50 de la constitution, a renversé le gouvernement Georges Pompidou[N 13]. Le président de la République, Charles de Gaulle, refuse de céder et dissout l'Assemblée le , faisant appel au jugement du pays[4].

C'est une victoire sans appel, les élections législatives de 1962 donnant une majorité absolue aux candidats gaullistes[4]. Le conflit qui opposait la chambre basse et le gouvernement fut donc résolu à l'avantage du gouvernement, reconduit dans ses fonctions.

La dissolution de 1968

La dissolution du ne fait pas suite à une crise politique, le Parlement soutenant alors le gouvernement Pompidou[N 14], mais à une crise nationale. La question était donc moins, pour le corps électoral, d'arbitrer un conflit entre législatif et exécutif, que de renouveler ou non sa confiance au président de la République, Charles de Gaulle[4]. En ce sens, on peut parler de « dissolution référendum » ou de « dissolution plébiscitaire ».

L'interprétation de cette dissolution comme un référendum déguisé fut d'ailleurs celle du général de Gaulle lui-même[4].

Conclusion

Les deux dissolutions ordonnées par Charles de Gaulle sont particulières, en ce que, à chaque fois, le président de la République a posé une sorte de « question de confiance » au corps électoral : un refus d'élire la majorité demandée aurait conduit à la démission du président, à l'image de ce qui s'est passé à la suite du référendum de 1969. Cette pratique se rapproche de la dissolution « à l'anglaise » : le Premier ministre britannique, qui a l'initiative de la dissolution, met l'existence de son gouvernement en jeu ; en théorie, le président de la République, en France, qui dispose aussi de l'initiative en cette matière, ne peut être affecté par l'issue de l'élection.

En quelque sorte, mettre en jeu sa responsabilité, à l'occasion d'une dissolution, pour le président, atténue l'apparence monarchique du droit de dissolution sous la Cinquième République, dont le fonctionnement est celui des deux chartes du XIXe siècle, en rapprochant l'usage de ce droit du système parlementaire classique[4]. Aucun des successeurs de Charles de Gaulle ne reprit cet usage, ce qui permit, en 1986, à la France de connaître une première cohabitation[N 15].

L'absence de dissolution sous Pompidou et Giscard

Ni Georges Pompidou ni Valéry Giscard d'Estaing n'ont usé de leur droit de dissoudre l'Assemblée nationale. Toutefois, le président Giscard d'Estaing a brandi à plusieurs reprises la menace de la dissolution, pour maintenir la cohésion d'une majorité parlementaire capricieuse, les élections législatives de 1978 ayant créé une majorité double, appuyée sur le RPR et l'UDF[15]. L'instabilité de cette majorité éclata au grand jour en 1979, lorsque le gouvernement Barre dut recourir six fois à l'article 49, alinéa 3, pour le vote du budget[16].

Les dissolutions de François Mitterrand

François Mitterrand, premier président socialiste de la Cinquième République.

Les deux dissolutions réalisées par François Mitterrand (en 1981 et 1988) sont intervenues dans des contextes identiques : élu, puis réélu à la présidence de la République, François Mitterrand se trouvait face à une Assemblée nationale dont la majorité lui était hostile[N 16].

L'élection du président au suffrage universel est la principale cause de ces deux dissolutions : élu sur un programme politique par l'ensemble du corps électoral, le président ne pouvait se contenter du rôle effacé et minime auquel une majorité hostile l'aurait cantonné[4]. Lors du débat télévisé du entre lui et Valéry Giscard d'Estaing, le futur président explique très clairement sa position :

« J'ai l'intention de dissoudre et j'ai l'intention de faire procéder à des élections avant le 1er juillet. Si un argument majeur s'opposait à cela, de toutes manières ma décision serait maintenue, je veux dire par là que je ne serais pas en mesure de garder cette Assemblée, et le problème, pour moi, serait de disposer d'une majorité, parce qu'on ne peut pas mener une autre politique sans une autre majorité[17]. »

Le résultat fut à chaque fois favorable au président Mitterrand, qui obtint une majorité de gauche ; toutefois, les élections de 1988 amenèrent une majorité relative, difficile à gouverner. Cela explique le recours massif des gouvernements de cette législature, et surtout du gouvernement Michel Rocard, à l'article 49, alinéa 3, de la constitution[16]. La dissolution de 1988 ne fut donc pas aussi réussie que celle de 1981, et elle montra que le risque de désaveu du président existait : ce risque se concrétisera lors de la dissolution suivante, en 1997[4].

La dissolution de Jacques Chirac

Jacques Chirac, le dernier président à avoir ordonné une dissolution de la chambre basse.

Le , Jacques Chirac, élu depuis deux années à la présidence de la République, dissout l'Assemblée nationale, élue en 1993, et du même bord politique que lui. Il avait refusé de dissoudre au lendemain de son élection en 1995, en mettant en avant le fait qu'aucune crise politique n'aurait justifié une telle décision. Cependant, si la chambre élue en 1993 disposait d'une écrasante majorité à droite, cette majorité n'était pas celle du président élu et elle le seconda mal[4]. La décision est prise le dimanche 9 février lors d'une réunion autour de Jacques Chirac, à l'Élysée, avec le secrétaire général de la présidence Dominique de Villepin, le Premier ministre Alain Juppé et son directeur de cabinet Maurice Gourdault-Montagne. Ces quatre hommes sont conscients que le budget de l'État qui évalue les déficits publics pour 1997 à 3,8 % du PIB (au-delà des 3 % exigés par le traité de Maastricht) les oblige à réduire les dépenses publiques, ce qui empêchera la majorité présidentielle de remporter les élections législatives prévues en mars 1998. Le remaniement ministériel est exclu, si bien qu'ils choisissent l'anticipation des législatives dans l'espoir de conforter la majorité et de faire passer les décisions impopulaires d'austérité après[18]. Le , face aux prévisions du creusement du déficit et des sondages qui montrent que la majorité RPR-UDF ne conserve plus qu'un faible avantage en sièges sur la gauche, Chirac convoque son « conseil privé[19] » qui acte la décision[20]. À la veille de l'annonce de la dissolution, Lionel Jospin, leader de la Gauche plurielle, est l'invité de 7 sur 7 sur TF1. Il coupe l'herbe sous le pied de Chirac en assurant que des élections anticipées seraient « un aveu d'échec » pour le Président de la République[21].

Prise tardivement, la décision de dissoudre l'Assemblée nationale en 1997, une année avant la fin normale de la législature, s'apparente à une « dissolution pour convenance personnelle[4] ». Il s'agit, pour le président, de choisir le meilleur moment pour obtenir la majorité souhaitée, à l'image de ce qui se pratique au Royaume-Uni, avant la réforme de 2011[N 17], où le Premier ministre choisit le moment le plus approprié pour provoquer l'élection. Toutefois, il faut souligner ici que, même si la dissolution de 1997 a pu être qualifiée de « dissolution à l'anglaise », l'esprit ne pouvait en être que différent, puisque le président Chirac n'a pas lié son maintien en fonction du résultat de l'élection.

Et, effectivement, les élections de 1997 amènent une majorité de gauche à l'Assemblée nationale (qui soutient le gouvernement Lionel Jospin pendant toute la durée de la législature), tandis que le président reste en fonction.

La possible fin du recours à la dissolution

La simultanéité des élections présidentielles et législatives à la suite de l'instauration du quinquennat présidentiel, en 2000, rend peu probable à l'avenir le retour d'une discordance entre majorité présidentielle et parlementaire, sauf en cas d'accident imprévisible tel que le décès ou la démission du président. Assurés de disposer de majorités solides et dévouées, puisqu'élues directement après eux, les futurs présidents de la République n'auront guère l'occasion d'utiliser leur droit de dissoudre l'Assemblée nationale[22].

Dans les circonstances actuelles, la dissolution reste surtout une arme théorique face à son homologue parlementaire, le droit de renverser le gouvernement. L'équilibre parlementaire traditionnel reste en vigueur, mais, depuis 1962 et la seule motion de censure adoptée sous la Cinquième République, il est surtout théorique. La réalité n'est plus un équilibre, mais une concentration pratique des pouvoirs exécutif et législatif au sein d'une même majorité, suivant ainsi l'évolution du régime parlementaire britannique. Ainsi, le renouveau du droit de dissolution auquel la constitution de 1958 a procédé a été quasiment inutile, car l'apparition du fait majoritaire en 1962 a rendu l'ensemble des mécanismes du « parlementarisme rationalisé », prévus pour garantir l'existence du pouvoir exécutif, nettement moins nécessaires à la survie du gouvernement.

Néanmoins, la possibilité d'une dissolution « tactique » est envisagée en 2014, sous la présidence de François Hollande[23]. Celui-ci, confronté à une impopularité record, aurait ainsi pu avoir recours à ce mécanisme en prévoyant que l'opposition remporterait les élections législatives anticipées, ce qui lui aurait permis de se tenir éloigné de la politique gouvernementale et de regagner en popularité en vue d'une possible réélection[24]. Cette hypothèse est également évoquée face au peu d'enthousiasme – voire au refus – de députés de la majorité de gauche à soutenir le gouvernement Manuel Valls[25],[26].

Dès l'automne 2022, la presse prête à Emmanuel Macron la volonté de dissoudre l'Assemblée nationale élue en juin de la même année[27]. Après sa réélection en avril, les élections législatives ne lui ont conféré qu'une majorité relative, avec les succès de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale et du Rassemblement national[27]. Le vote de certains projets de loi peut être mis en difficulté par cette forte opposition et l'incertitude autour du ralliement des Républicains[28].

Notes

Sources

Ouvrages et articles spécialisés

  • Autres sources

Sources juridiques

Notes diverses

Voir aussi

Articles théoriques

Histoire

Bibliographie

Sources de l'article

Contributions d'ouvrages collectifs

  • Jean-Paul Cointet, « L'écriture de la constitution de 1958 : le poids de l'histoire », dans Didier Maus, Louis Favoreu, Jean-Luc Parodi (dir.), L'écriture de la constitution de 1958 : Actes du colloque du XXXe anniversaire, Aix-en-Provence, 8, 9, 10 septembre 1988, Paris, Economica, , 852 p. (ISBN 2717823549, BNF 35538503).
  • Didier Maus, « L'institution présidentielle dans l'écriture de la constitution de 1958 », dans Didier Maus, Louis Favoreu, Jean-Luc Parodi (dir.), L'écriture de la constitution de 1958 : Actes du colloque du XXXe anniversaire, Aix-en-Provence, 8, 9, 10 septembre 1988, Paris, Economica, , 852 p. (ISBN 2717823549, BNF 35538503), p. 267-268.

Monographies

  • Philippe Ardant, Institutions politiques & Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, coll. « Manuels », , 15e éd., 616 p. (ISBN 2275023720, BNF 39058671).
    Manuel de droit constitutionnel très général, comporte un rapide historique des constitutions françaises.
  • Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, Paris, Armand Collin, coll. « Classic », , 9e éd. (1re éd. 1952), 748 p. (ISBN 2247045286, BNF 37657360).
    Manuel de référence, centré davantage sur l'aspect « histoire institutionnelle », parfois d'un ton assez personnel.
  • Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien, coll. « Domat / Droit public », , 8e éd., 431 p. (ISBN 2707613894, BNF 39192374).
    Manuel universitaire de référence, extrêmement complet, clair et concis, doté d'une très importante bibliographie.

Articles

  • « Le projet de révision de Félix Gaillard : Exposé des motifs et projet de loi », Pouvoirs, no 76,‎ (lire en ligne [PDF]).
    Contient l'exposé des motifs et le texte du projet de révision constitutionnelle de Félix Gaillard, tel que présenté à l'Assemblée nationale, avant que celle-ci ne l'amende.
  • « Discours de Michel Debré devant le Conseil d'État (27 août 1958) », dans Constitution française du 4 octobre 1958, Paris, La Documentation française, coll. « Documents d'étude » (no 1.04), (ISBN 9782110074676, présentation en ligne), p. 25-31.
  • François Goguel, « Vers une nouvelle orientation de la révision constitutionnelle », Revue française de science politique, vol. 6, no 3,‎ , p. 493-507 (lire en ligne [PDF]).
  • François Goguel, « L'élaboration des institutions de la République dans la constitution du 4 octobre 1958 », Revue française de science politique, vol. 9, no 1,‎ , p. 67-86 (lire en ligne [PDF])[biblio 1].
  • Jean-Claude Zarka, « Les dissolutions sous la Ve République », Regards sur l'actualité, Paris, La Documentation française, no 232,‎ .
    Article très synthétique, donnant une interprétation de chaque dissolution survenue sous la Cinquième République.

Ouvrages complémentaires

  • Comité nationale chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la constitution du 4 octobre 1958, Paris, La Documentation française, 1987-1988 :
    • idem, Des origines de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 à l'avant-projet du 29 juillet 1958, vol. I (BNF 36632531) ;
    • idem, Le Comité consultatif constitutionnel, De l'avant-projet du 29 juillet 1958 au projet du 21 août 1958, vol. II (BNF 36629714) ;
    • idem, Du Conseil d'État au référendum, 20 août-28 septembre 1958, vol. III (BNF 36650200).
  • Pierre Albertini, Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Publications de l'Université de Rouen » (no 43), , 409 p. (BNF 34594727).

Notes concernant la bibliographie

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