Qui est Charlie ?

livre d'Emmanuel Todd

Qui est Charlie ?, sous-titré Sociologie d’une crise religieuse, est un ouvrage de l'historien et anthropologue Emmanuel Todd paru aux éditions du Seuil au début de mois de . Son titre est une allusion au slogan Je suis Charlie et aux livres-jeux Où est Charlie ?. L’ouvrage présente en effet une analyse polémique des manifestations qui ont fait suite, en France, aux attentats de janvier 2015 et notamment à celui contre Charlie Hebdo. Objet de vives controverses et par là-même très médiatisé, le livre s’est écoulé à plus de 60 000 exemplaires au [1].

Qui est Charlie ?
AuteurEmmanuel Todd
PaysDrapeau de la France France
GenreEssai
ÉditeurSeuil
Date de parution
Nombre de pages252
ISBN978-2021279092
Chronologie

Thèse du livre

Dans cet ouvrage, l’auteur entend démontrer à partir d’une cartographie des manifestations des 10 et 11 janvier 2015 « l’hégémonie du bloc MAZ » (c’est-à-dire des classes moyennes, des personnes âgées et des « catholiques zombies ») sur la politique française. Pour Todd, la France périphérique a pris le dessus sur la France centrale à travers sa conquête du Parti socialiste, ce qui rappelle les tensions de l’affaire Dreyfus et de Vichy entre une France égalitaire et une France inégalitaire[2].

Le bloc MAZ est analysé comme

Todd analyse ces trois éléments comme résultant d’une crise religieuse parmi ceux qu’il appelle les « catholiques zombies » : l’euro est, dans sa bouche, « la monnaie unique qui a remplacé le Dieu unique » et l’islam « un nouveau bouc émissaire » qui a remplacé le juif dans des régions traditionnellement antisémites. En parallèle, Todd met en garde contre un antisémitisme des banlieues qui ne se nourrit pas seulement du conflit israélo-palestinien mais surtout de « l’augmentation de toutes passions religieuses », y compris celles suscitées par un « laïcisme ». Todd plaide pour une « accommodation avec l’Islam » qui inclurait à la fois un « droit au blasphème » mais aussi un droit à refuser et critiquer le blasphème sans être accusé d’apologie du terrorisme.

Controverses

Qui est Charlie ? a suscité de vifs débats dans la presse et les médias, avec notamment les interventions de Manuel Valls[3], Alain Badiou[4], ou encore Éric Fassin[5] tour à tour attaquant et défendant l’ouvrage.

L’affirmation que les manifestations des 10 et ont surmobilisé un bloc MAZ au fond culturel inégalitaire et xénophobe a généré un important débat entre scientifiques à la sortie du livre. Pour Anne Verjus, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, « c’est bien sans doute cette accusation de mensonge, de fausse conscience lancée aux personnes manifestant pour la liberté d’expression le , qui a suscité un émoi si vif »[6].

Avant la parution de Qui est Charlie ?, plusieurs observateurs s’étaient déjà exprimés sur la composition de la manifestation. Frédéric Lordon, pensait qu’il y avait « matière à questionner la réalité de l’"union nationale" qu’on célèbre en tous sens. Tout porte à croire, que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué »[7]. Pour Daniel Sibony qui analyse la montée de l’islamisme, « dans la grande manif pour Charlie Hebdo, les musulmans étaient largement sous représentés »[8]. Le sociologue Jean Baubérot considère que « la manifestation de dimanche [11 janvier] était une manifestation de classe moyenne », et relève la participation de « femmes en foulard qui disaient Je suis Charlie »[9].

Le livre est critiqué du point de vue méthodologique. L'erreur écologique, dont il serait coutumier selon l'enseignant-chercheur Thierry Joliveau, l'amènerait en effet à conclure à des corrélations individuelles « sur la seule base de corrélations à des niveaux géographiques supérieurs »[10]

Après la parution du livre, le sociologue Vincent Tiberj et la politologue Nonna Mayer mettent en cause les résultats d’Emmanuel Todd à partir d’un sondage réalisé en mars à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l’homme[11]. Ce sondage sera lui-même critiqué par l’Observatoire des sondages, géré par l’universitaire Alain Garrigou[12]. Il s’ensuit un débat sur la méthode d’Emmanuel Todd. François Héran, ancien directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED), estime pour sa part que Todd « manque de méthode. Pour établir les conclusions qu’il avance dans son ouvrage, il faudrait manier une analyse démographique et statistique autrement plus poussée. » [13]. La géographe Béatrice Giblin-Delvallet dénonce quant à elle un ouvrage aux données truffées d’erreurs et qui « ignore le BA-ba scientifique »[14].

D’autres défendent la méthode de l’ouvrage : le politologue Thomas Guénolé considère que la « démonstration sur la sociologie des manifestants est totalement convaincante »[15] et Anne Verjus estime qu’il faut « défendre la démarche scientifique d’Emmanuel Todd. Une démarche qui consiste à chercher, au-delà des discours des acteurs, les implicites et les intentions non perçues de leurs actions ; une démarche qui ne se conteste pas en produisant des mesures statistiques de discours explicites ; et qui a l’intérêt, je crois, de contribuer à faire émerger d’autres formes de matériaux et de points de vue pour dire le vrai de nos rapports sociaux »[6].

Les approximations de certaines critiques conduisent ainsi Anne Verjus, politiste, chercheuse au CNRS, membre du laboratoire Triangle à Lyon, à produire leur déconstruction méthodique dans une série de trois articles[16].

Maurice Szafran juge, dans Challenges, qu’Emmanuel Todd « perd les pédales », et dénonce la « vacuité » d’une analyse qu’il qualifie de « contre-vérité à la limite de la monstruosité éthique » et de « galimatias pseudo marxisant »[17]. Joseph Macé-Scaron, dans Marianne, reproche à Todd « de délégitimer, de flétrir et de diffamer le 11 janvier 2015, ce sursaut citoyen et populaire ». Dénonçant « le ton sentencieux et les formulations méprisantes » de l’auteur et ses interprétations fallacieuses des réalités sociologiques, il range ce dernier parmi les « précieux ridicules » et souligne qu’en surinterprétant les origines ethniques et religieuses des personnes citées dans son livre, « Todd concourt pour être le Henry Coston de la sociologie française ». Pour Macé-Scaron, Todd est en plein « délire », avec « le sérieux compassé qu’affectent ceux qui racontent n’importe quoi »[18]. L’essayiste Éric Zemmour dénonce pour sa part dans Le Figaro un mélange entre production scientifique et engagements politiques, combinaison utilisée selon lui avec « une mauvaise foi teintée d’arrogance »[19].

Selon l'écrivain Alain Mabanckou, Emmanuel Todd fait preuve dans ce livre d'une conception « à l'américaine », en promouvant l'idée que la satire ne doit pas s'exercer à l'encontre des plus faibles, en l'occurrence ici les musulmans[20]. Le livre génère un débat important dans la presse et les médias et s'écoule à plus de 60 000 exemplaires au 5 juin 2015[21].

Manuel Valls, alors Premier ministre de France, publie quant à lui dans Le Monde une tribune dénonçant cet ouvrage, dans lequel il relève des « impostures », notamment celle qui voudrait que les manifestations aient été tournées contre l’islam, alors qu’elles étaient « un cri lancé, avec dignité, pour la tolérance et pour la laïcité, condition de cette tolérance ». Il estime qu’Emmanuel Todd s’est mué en « gardien du temple » pour qui « la gauche ne vivrait bien que dans la contestation, le mythe révolutionnaire », et que ses thèses « participent d’un cynisme ambiant, d’un renoncement en règle, d’un abandon en rase campagne de la part d’intellectuels qui ne croient plus en la France »[22],[23].

Emmanuel Todd lui répond, comparant son optimisme à « celui du maréchal Pétain et de la Révolution nationale »[24]. Dans la même interview il affirme que « soit Manuel Valls n'a pas lu mon livre, soit il est vraiment bête »[25]. Manuel Valls réaffirme par la suite « avoir bien lu [son] livre »[25].

Parmi les membres de la rédaction de Charlie Hebdo, Patrick Pelloux estime que l’ouvrage d’Emmanuel Todd constitue une insulte aux millions de manifestants et « soutient en quelque sorte l’intégrisme religieux »[26]. Le journaliste Philippe Lançon, blessé dans l’attentat, compare la démarche d’Emmanuel Todd à celle d’« un corbeau, les corbeaux qui se déposent sur les champs de cadavres une fois que la bataille a eu lieu » et s’agace du « mépris » exprimé envers « les gens qui avaient été, je crois pour la plupart, sincèrement horrifiés par cet événement ». Pour lui, l’ouvrage de Todd constitue « une prime à la pensée pour la violence, une sorte de justification sous-jacente à l’acte qui avait été commis en faisant des frères Kouachi les représentants d’un peuple, d’une population ou d’une communauté opprimés »[27]. La dessinatrice Coco juge quant à elle qu’« Emmanuel Todd s’est branlé sur des trucs sociologiques à la mords-moi-le-nœud »[28].

Notes et références

Bibliographie

  • (en) Philippe Marlière, « Emmanuel Todd and the Great Charlie Hebdo “Sham” », Occasion, vol. 9,‎ (lire en ligne, consulté le )
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