Ammine

En chimie de coordination, les ammines sont des complexes métalliques contenant au moins un ligand ammoniac NH3. Le terme « ammine » est orthographié avec deux « m » pour des raisons historiques, mais les ligands porteurs de groupes alkyle ou aryle sont orthographiés avec un seul « m » ; il est par ailleurs fréquent de rencontrer les deux formes dans la littérature, souvent avec un seul « m » même en l'absence de chaîne carbonée. Presque tous les ions métalliques se lient à l'ammoniac comme ligand, mais les exemples d'ammines les plus courants sont à base de chrome(III), de cobalt(III), de nickel(II) et de cuivre(II), ainsi que de plusieurs métaux du groupe du platine[1], comme le ruthénium et le tungstène.

Cation pentaamine(diazote)-
ruthénium(II)
, généralement écrit avec un seul « m ».

Les ammines ont joué un rôle important dans le développement de la chimie de coordination, notamment dans la détermination de la stéréochimie et de la structure de ces composés. Elles peuvent être préparées facilement, et le rapport métal/azote peut être déterminé par analyse élémentaire. C'est en étudiant principalement des ammines que le chimiste suisse Alfred Werner a développé sa compréhension de la structure des composés de coordination qui lui a valu le prix Nobel de chimie en 1913[2],[3]. L'une des premières ammines décrites a été le sel vert de Magnus [Pt(NH3)4][PtCl4], qui contient le cation tétraammine de platine [Pt(NH3)4]2+[4].

Chlorure de chloro-
pentaamminecobalt
.

Liaisons et structure

L'ammoniac est une base de Lewis et un donneur σ « pur ». Comme la molécule NH3 est compacte, elle est sujette à des effets stériques négligeables. Ces éléments simplifient l'interprétation des résultats structuraux et spectroscopiques. La longueur de la liaison MN de complexes [M(NH3)6]n+ a été étudiée par cristallographie aux rayons X[5].

liaisons MN de complexes [M(NH3)6]n+
Mn+Distance
MN
Configuration
électronique
d
Particularités
Co3+193,6 pmt2g6Les trications bas spin sont de petite taille.
Co2+211,4 pmt2g5eg2Charge réduite et population des orbitales eg.
Ru3+210,4 pmt2g5Trication bas spin de plus grande taille que Co3+.
Ru2+214,4 pmt2g6Dication bas spin.

Exemples

On connaît des ammines homoleptiques de nombreux métaux de transition, le plus souvent de formule générale [M(NH3)6]n+, avec n = 2, 3, voire 4[6].

Métaux du groupe du platine

Les métaux du groupe du platine forment diverses ammines. Le cation pentaamine(diazote)ruthénium(II) et le complexe de Creutz-Taube [(Ru(NH3)5)2(C4H4N2)]5+ ont été particulièrement étudiés ou ont eu une importance historique particulière. Le cisplatine cis-PtCl2(NH3)2 est un anticancéreux important en chimiothérapie. Le pentaamminechlororhodium [RhCl(NH3)5]2+ intervient sous forme de dichlorure dans la purification du rhodium de ses minerais.

Cobalt(III) et chrome(III)

Les ammines de chrome(III) et de cobalt(III) revêtent une importance historique. Ces deux familles d'ammines sont cinétiquement relativement inertes, ce qui permet la séparation de leurs isomères[7]. Ainsi, le chlorure de tétraamminedichlorochrome(III) [Cr(NH3)4Cl2]Cl a une forme cis de couleur violette et une forme trans de couleur verte. En revanche, le chlorure d'hexamminecobalt(III) [Co(NH3)6]Cl3 n'a qu'un seul isomère. Le sel de Reinecke NH4[Cr(NCS)4(NH3)2] a été décrit pour la première fois en 1863[8].

Nickel(II), zinc(II), cuivre(II)

Le zinc(II) forme une tétrammine incolore de formule [Zn(NH3)4]2+[9]. Comme la plupart des complexes de zinc, la tétrammine présente une géométrie tétraédrique. L'hexammine de nickel(II) [Ni(NH3)6]2+ est violette et celle de cuivre(II) est bleu foncé.

Cuivre(I), argent(I) et or(I)

Le cuivre(I) ne forme avec l'ammoniac que des complexes labiles, dont le cation [Cu(NH3)3]+ de géométrie plane trigonale[10]. L'argent(I) donne la diammine [Ag(NH3)2]+ avec une géométrie de coordination linéaire[11]. C'est le complexe qui se forme lorsque le chlorure d'argent AgCl, généralement insoluble, se dissout dans l'ammoniaque. C'est également ce complexe qui est la substance active du réactif de Tollens Ag(NH3)2OH. Le chlorure d'or(I) AuCl forme une espèce avec six molécules d'ammoniac, mais la cristallographie aux rayons X révèle que seules deux molécules d'ammoniac sont des ligands d'un complexe avec l'or[12].

Réactions

Échange de ligands et réactions d'oxydoréduction

L'ammoniac étant un ligand plus fort que l'eau dans la série spectrochimique, les ammines sont plus stables que les complexes aqua correspondants. Elles sont également moins oxydantes que les complexes aqua correspondants pour des raisons similaires, ce qu'on observe à travers la stabilité du cation [Co(NH3)6]3+ en solution aqueuse, tandis que le cation [Co(H2O)6]3+ n'existe pas en solution aqueuse car il oxyderait l'eau.

Réactions acido-basiques

Une fois complexé à un ion métallique, l'ammoniac n'est plus basique. Ceci est illustré par la stabilité de certains complexes métal-ammine dans des solutions acides fortes. Lorsque la liaison MNH3 est faible, le ligand ammine se dissocie, et il s'ensuit une protonation. Cela s'observe par le fait que les acides réagissent avec [Ni(NH3)6]2+ mais pas avec [Co(NH3)6]3+.

Les ligands ammine sont plus acides que l'ammoniac (pKa ~ 33). Pour les complexes fortement cationiques tels que [Pt(NH3)6]4+, on peut obtenir la base conjuguée. La déprotonation d'halogénures d'ammines de cobalt(III) tels que [CoCl(NH3)5]2+ labilise la liaison CoCl par mécanisme SN1CB (en). La déprotonation peut être combinée à l'oxydation, ce qui permet de convertir une ammine en complexe de nitrosyle (en)[13] :

H2O + [Ru(terpy)(bipy)(NH3)]+[Ru(terpy)(bipy)(NO)]2+ + 5 H+ + 6 e.

Transferts d'atomes d'hydrogène

Dans certaines ammines, la liaison NH est faible. Ainsi, une ammine de tungstène peut libérer de l'hydrogène[13] :

2 [W(terpy)(PMe2Ph)2(NH3)]+ ⟶ 2 [W(terpy)(PMe2Ph)2(NH2)]+ + H2.

Cette réaction peut être mise à profit pour l'utilisation d'ammoniac comme source d'hydrogène.

Applications

On connaît de nombreuses applications aux ammines. La plus connue est le cisplatine cis-PtCl2(NH3)2, anticancéreux utilisé en chimiothérapie[14]. Diverses autres ammines de métaux du groupe du platine ont été évaluées pour cet usage.

Plusieurs procédés de séparation des différents métaux du groupe du platine de leurs minerais reposent sur la précipation de [RhCl(NH3)5]Cl2. Certains procédés permettent de purifier le palladium en jouant sur des équilibres impliquant les complexes [Pd(NH3)4]Cl2, PdCl2(NH3)2 et Pt(NH3)4[PdCl4].

Lors du traitement de la cellulose, l'ammine de cuivre appelée réactif de Schweizer [Cu(NH3)4(H2O)2](OH)2 est parfois utilisée pour solubiliser le polymère. On obtient ce réactif en traitant une solution aqueuse de cations de cuivre(II) avec de l'ammoniac ; il se forme un précipité bleu clair qui se redissout par addition d'un excès d'ammoniac :

[Cu(H2O)6]2+ + 2 OHCu(OH)2 + 6 H2O ;
Cu(OH)2 + 4 NH3 + 2 H2O[Cu(NH3)4(H2O)2]2+ + 2 OH.

Le fluorure de diammine d'argent [Ag(NH3)2]F est un médicament topique qui peut être utilisé pour traiter et prévenir les caries dentaires et soulager l'hypersensibilité dentinaire[15].

Notes et références

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