Traité de Trianon

traité de 1920 officialisant la séparation de la Hongrie de l’Autriche et la redéfinition de ses frontières
Traité de Trianon
Description de cette image, également commentée ci-après
Les délégués hongrois arrivant au Trianon accompagnés par trois officiers (français, britannique et italien) passent devant un piquet d'honneur français : en tête, en haut-de-forme, Ágost Benárd, chef de la délégation, suivi par Pál Teleki.
Dépôt Gouvernement de la République française
Langues Français, anglais, italien
Signé
Grand Trianon, Versailles
Effet
Parties
SignatairesAlliés de la Première Guerre mondiale
Drapeau de la Hongrie Royaume de Hongrie

Le traité de Trianon signé le au Grand Trianon de Versailles fait suite au traité de Versailles et vient officialiser la dislocation de l'Empire austro-hongrois à la fin de 1918. Il est signé d'une part par les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale : La France, le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Italie, la Roumanie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (qui devient le royaume de Yougoslavie en 1929) et la Tchécoslovaquie qui bénéficient du principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » énoncé par le président américain Woodrow Wilson dans le dixième de ses fameux « 14 points »[1], et d'autre part par l'Autriche-Hongrie vaincue, représentée par la Hongrie (séparée de l'Autriche depuis le ).

Au traité de Trianon, le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » est refusé aux Magyars comme il avait été refusé aux Allemands d'Autriche-Hongrie au traité de Saint-Germain. Cela a pour conséquence de faire passer 3,3 millions de Hongrois (soit plus de 30 % d'entre eux) sous domination étrangère. C'est une blessure historique pour la Hongrie : sa demande de révision du traité est un point de sa politique étrangère durant l'entre-deux-guerres et concourt au rapprochement du pays avec l'Allemagne nazie[2]. Une partie de ces revendications a ressurgi après la dislocation du bloc de l'Est, et depuis 2010, le 4 juin est officiellement baptisé journée de l'unité nationale. Pour le centième anniversaire du traité de Trianon en 2020[3], le gouvernement nationaliste de Viktor Orbán avait préparé une commémoration mais ce projet a dû être revu à la baisse en raison de la pandémie de Covid-19[4]. Un large mémorial a quand même été inauguré à Budapest[5].

Pourparlers

Les délégués en pourparlers au Trianon.

Fin 1919, la Hongrie, en tant qu'État issu de l'ex-Autriche-Hongrie, puissance vaincue, est convoquée à Paris pour des négociations de paix. La délégation hongroise argue que son pays s'était séparé de l'Autriche le et avait signé le à Belgrade sa propre convention d'application de l'armistice austro-hongrois du avec les Alliés. Mais ces derniers la considèrent néanmoins comme vaincue en raison de sa cobelligérance aux côtés de l'Autriche. Robert Vallery-Radot rend compte de la manière dont fut accueillie la délégation hongroise (où dominaient les nobles, dont les comtes Albert Apponyi, Pál Teleki et István Bethlen) :

« On les reçut comme des prisonniers. Ils furent enfermés sous la garde de policiers, avec l'interdiction d'en sortir. Seul le comte Apponyi, en considération de son grand âge (74 ans), fut autorisé à faire un petit tour de promenade, escorté d'un inspecteur de la Sûreté. »

— Robert Vallery-Radot[6],[7]

La délégation hongroise est confrontée à deux préalables qui limitent grandement sa marge de manœuvre :

Arguant de son étendue historique, la Hongrie conteste la légalité des proclamations slovaques, roumaines et slaves du sud, ainsi que les travaux de la commission Lord, et exige sans succès une révision du traité de Saint-Germain, mais se heurte au principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » offert par les vainqueurs à leurs alliés, mais pas aux vaincus (ainsi, les germanophones d'Autriche-Hongrie qui souhaitaient s'unir à l'Allemagne en furent empêchés par le traité de Saint-Germain et en outre, il n'est tenu aucun compte des revendications ukrainiennes).

Clauses du traité et nouvelles frontières

La commission Lord, présidée par des géographes tels que Robert Seton-Watson (en) et Emmanuel de Martonne, comprend l'historien Ernest Denis et plusieurs géographes et historiens américains, britanniques, français, italiens, belges, tchèques, serbes et roumains, mais seulement trois hongrois : István Bethlen, Gyula Varga et Pál Teleki[8]. Ses conclusions tiennent compte des majorités linguistiques rurales, mais défavorisent la Hongrie en ne tenant pas compte des villes (presque toutes majoritairement hongroises) et en appliquant à son détriment le « principe de viabilité des frontières » : ainsi, pour donner accès au Danube à la Tchécoslovaquie, la plaine danubienne avec les villes de Pozsony, Érsekújvár et Komárom devient tchécoslovaque en dépit de sa majorité magyare, tandis que la frontière hungaro-roumaine inclut du côté roumain une importante voie ferrée reliant quatre villes à majorité alors hongroise (Temesvár, Arad, Nagyvárad et Szatmár-Németi), parce que la campagne alentour est roumaine, mais surtout parce qu'elle relie la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la future Yougoslavie, états-clients des Alliés[9].

Plusieurs fois, la commission est accusée par les Hongrois de partialité : à titre d'exemple, pour la ville de Kassa, les procès-verbaux de la commission Lord constituèrent lors des négociations de paix un argument décisif pour détacher cette cité de la Hongrie. La délégation hongroise contesta ces procès-verbaux en affirmant que « Les observateurs américains censés être neutres étaient en fait des Tchèques récemment naturalisés américains, qui ont falsifié la commission d'enquête et déclaré qu'il n'y avait aucun Hongrois à Košice »[11].

En signant le traité de Trianon, la Hongrie consent officiellement à la perte des deux tiers de son territoire de 1918 au profit de tous ses voisins sans exception, sa superficie passant de 325 411 km2 en à 93 028 km2 :

La Hongrie perd ainsi son accès à la mer Adriatique (en Croatie, rattachée au royaume des Serbes, Croates et Slovènes), la totalité de ses mines d'or, d'argent, de mercure, de cuivre et de sel, cinq de ses dix villes les plus peuplées et entre 55 % et 65 % des forêts, ainsi que des voies ferrés, usines, canaux, institutions bancaires et terres cultivables[12].

Toutefois, l'Autriche et la Hongrie conclurent le le protocole de Venise[13] pour organiser un plébiscite en 1922 dans la ville de Sopron (en allemand Ödenburg, située dans le Burgenland) qui opta pour la Hongrie. Ce fut le seul cas où le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » fut appliqué aux Hongrois.

La Mitteleuropa subit ainsi une refonte radicale de ses frontières.

Conséquences du traité

Carte de la Hongrie d'avant Trianon sur un mur de village hongrois (sa silhouette se retrouve aussi sous la forme d'autocollants, porte-clefs, drapeaux, napperons, écharpes…). À droite, le texte dit : « Je crois en un seul Dieu, je crois en une seule patrie. Je crois en une seule justice divine éternelle. Je crois en la résurrection de la Hongrie ».

Si, avant la Première Guerre mondiale, plus de la moitié des 21,5 millions d'habitants du royaume de Hongrie ne sont pas Magyars (lesquels sont au nombre de 9 549 000), l'une des conséquences de ces pertes est qu'après-guerre un magyarophone sur trois vit en dehors des frontières de la nouvelle Hongrie : 3,3 millions de Hongrois se retrouvent citoyens roumains, tchécoslovaques ou yougoslaves[14].

Ce traitement inéquitable fait à la Hongrie n'échappe pas à Aristide Briand qui déclare à la Chambre des députés : « il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour s'apercevoir que les frontières de la Hongrie ne consacrent pas la justice ». Pour David Lloyd George, « toute la documentation qui nous a été fournie par certains de nos alliés pendant les négociations de paix était mensongère et truquée. Nous avons décidé sur des faux »[15].

L'essentiel de la politique extérieure hongroise de l'entre-deux-guerres-mondiales, dirigée par l'amiral Miklós Horthy, consista à réclamer la révision du traité de Trianon (ce que les Alliés occidentaux et leurs états-satellites[réf. nécessaire] de la « Petite Entente » appelaient « révisionnisme »). Durant la Seconde Guerre mondiale, la Hongrie eut partiellement satisfaction en s'alliant à l'Allemagne nazie, et obtint par les arbitrages de Vienne le Sud de la Slovaquie en 1938, la Ruthénie en 1939, le nord de la Transylvanie en 1940 et le Nord de la Serbie en 1941, mais les frontières de Trianon furent remises en vigueur en 1945[16].

L’hungarisme du Parti des Croix fléchées, ainsi de la politique intérieure hongroise depuis la fin du régime communiste en 1989, font également référence à la « Tragédie du Traité de Trianon »[17], présenté non comme l'aboutissement d'un processus de dislocation commencé en 1918 et consécutif aux excès de la magyarisation antérieure, mais comme la cause initiale d'une injustice due à la défaite austro-hongroise et devenue séculaire en 2020[18].

Aujourd'hui encore 458 467 personnes (8,5 % de la population) se déclarent hongroises en Slovaquie et 508 714 (9,3 % de la population) affirment que le hongrois est leur langue maternelle selon le recensement slovaque de 2011[19]. En Roumanie (selon le recensement de 2011[20]) 1 227 623 personnes se déclarent hongroises soit 6,6 % des citoyens roumains (mais 23 % en Transylvanie et plus de 75 % dans deux des seize județe transylvains, celui de Harghita et celui de Covasna).

La « Tragédie de Trianon » est régulièrement évoquée dans les discours du Fidesz-Union civique hongroise de Viktor Orbán, du Jobbik et du Mouvement de jeunesse des soixante-quatre comitats (Hatvannégy Vármegye Ifjúsági Mozgalom) fondé par László Toroczkai, qui s'est montré en France lors d'une manifestation de plus de 400 personnes dans les rues de Versailles le . Au-delà de l'extrême droite, c'est toute l'histoire de la Hongrie qui est réécrite par les médias actuels en fonction de ce traumatisme, en minimisant les diversités et les clivages du passé (politiques, territoriaux, linguistiques, religieux) et en idéalisant une « Hongrie unitaire millénaire » (celle des 64 comitats)[21],[22] qui aurait été un « âge d'or » pour les Hongrois, mais aussi pour des « immigrants tardifs slaves, valaques ou tziganes qui ont fini par proliférer et mener à la décadence et au démantèlement du pays »[23].

Cette rhétorique reste cependant à vocation surtout électorale interne, car sur le plan des relations de la Hongrie avec ses sept voisins autrichien, slovaque, ukrainien, roumain, serbe, croate et slovène, le gouvernement Orbán respecte les traités bilatéraux et se garde de toute revendication territoriale, se bornant à la défense des Magyars d'outre-frontières au Burgenland autrichien, en Haute-Hongrie slovaque, en Ruthénie subcarpatique ukrainienne, en Transylvanie roumaine, en Voïvodine serbe, en Slavonie croate et en Prékmurie slovène[24]. Sur les sept pays voisins de la Hongrie, depuis 2013 cinq d'entre eux (Autriche, Croatie, Slovénie, Slovaquie et Roumanie) font partie comme elle de l'Union européenne, de sorte qu'entre ces États les visas sont abolis et que de facto les frontières du traité de Trianon sont désormais ouvertes aux habitants de l'ancienne « grande Hongrie » d'avant Trianon[25] et à leur permettre d'acquérir la citoyenneté hongroise s'ils la demandent[26].

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Oskar Krejčí, Geopolitics of the Central European Region : The View from Prague and Bratislava, Lulu.com, , 493 p. (ISBN 978-80-224-0852-3, lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes

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