Tabac

produit élaboré à partir de feuilles séchées de plantes de tabac commun

Le tabac est un produit psychotrope manufacturé élaboré à partir de feuilles séchées de plantes de tabac commun (Nicotiana tabacum), une espèce originaire d'Amérique appartenant au genre botanique Nicotiana (famille : Solanaceae).

Nicotiana tabacum, vue de dessus.
Tabac blond séché et haché.
Stockage du tabac dans la Tabacalera del Oriente, Tarapoto, Pérou.

L'usage du tabac s'est largement répandu dans le monde entier à la suite de la découverte de l'Amérique. Sa commercialisation est promue par l'industrie du tabac (monopole d'État dans certains pays) et soumise à des taxes qui varient fortement selon les pays.

Le tabac cause une forte dépendance et sa consommation est responsable de plus de 8 millions de décès par an dans le monde, dont 1,2 million sont des non-fumeurs exposés à la fumée (tabagisme passif)[1]. De nombreuses maladies sont liées au tabagisme (maladies cardiovasculaires et cancers, entre autres).

Production

Les Nicotiana sont des plantes néotropicales nitrophiles, originaires des régions chaudes et nécessitant un sol riche en humus. La température et la nature des sols jouent un rôle prépondérant sur les propriétés du tabac : la culture ne peut s'effectuer qu'entre des températures allant de 15 à 35 °C, et avec une hygrométrie voisine de 70 %[2].

Culture

Plante de tabac adulte.

Les pathogènes spécifiques à la plante incluent : le virus de la gravure du tabac, le virus de la mosaïque du tabac et le virus A de la nécrose du tabac.

Les ravageurs incluent : la noctuelle orientale du tabac, le thrips du tabac et de l'oignon.

Traitement

Tabac en train de sécher au soleil, dans le nord-ouest de l'Iran.

Le séchage à l'air chaud est la principale méthode ; il nécessite environ une semaine[3] (cf. Effets sur l'environnement).

Composition

La composition du tabac est complexe : sa fumée contient environ 4 000 composés chimiques, dont 250 sont dangereux pour la santé et 50 sont reconnus cancérigènes[4].

Dans la plante fraiche de Nicotiana tabacum, on trouve un mélange d'alcaloïdes composés de 93 % de (S)-nicotine, 3,9 % de (S)-anatabine, de 2,4 % de (S)-nornicotine, et de 0,5 % de (S)-anabasine.

Lors de sa croissance, la plante absorbe plusieurs produits radioactifs, qu'on retrouve dans la fumée, le filtre et moindrement le papier des cigarettes ou des bidis[5],[6],[7],[8], puis dans les poumons, via l'inhalation de la fumée[9]. On y trouve des traces de thorium, polonium et d'uranium[10]. Le polonium du tabac engendre le plus de radioactivité inhalée[11].

L'American Journal of Public Health (en) a montré, en , que les « majors » de l'industrie du tabac, Philip Morris, RJ Reynolds Tobacco Company, British American Tobaccoetc., ont volontairement caché au public, depuis les années 1960, la présence dans les cigarettes de polonium 210, une substance hautement cancérigène utilisée, entre autres, lors de l'assassinat de l'espion Alexandre Litvinenko[12],[13],[14],[15]. Une des explications de cette présence de produits radioactifs dans le tabac est l'utilisation fréquente aux États-Unis d'engrais à base d'apatites, utilisés pour donner une saveur spécifique au tabac ; le tabac produit dans certains pays en développement peut ainsi avoir jusqu'à un tiers de radioactivité en moins que celui cultivé aux États-Unis[12],[13],[16]. Une étude de 1975 a constaté qu'une variété du nord du Bengale contenait moins de radon et de polonium[17].

L'industrie du tabac ajoute des additifs (arômes, sucres, humidifiants) dans le tabac de cigarettes, notamment des composés d'ammoniac qui modifient le pH de la nicotine (plus alcalin), en facilitent l'absorption tout en renforçant la dépendance à celle-ci (ouverture plus importante des récepteurs à la dopamine)[18].

Consommation

Le tabac est consommé principalement fumé sous forme de cigares, de cigarettes, à l'aide d'une pipe ou d'un narguilé ; il peut aussi être mâché (chiqué), sucé (snus) ou prisé.

Au début du XXe siècle, le tabac est cultivé et consommé sur tous les continents. Les progrès techniques et industriels font évoluer sa production et la consommation de cigarettes supplante dès lors la chique, la prise, la pipe et le cigare. En 1880, il est vendu cent millions de cigarettes dans le monde, en 1900 un milliard de cigarettes[19]. Sa consommation se diffuse massivement au milieu du XXe siècle avec l'essor de la publicité. En 1940, 1 000 milliards de cigarettes sont vendues dans le monde, 2 000 milliards en 1960, 5 000 milliards en 1980, 6 000 milliards en 2014[20].

La consommation de tabac entraine généralement une dépendance durable[21].

Effets et toxicité

Effets sur la santé

La consommation de produits du tabac est la cause de nombreuses maladies mortelles.

Effets sur l'environnement

En mai 2022, l'Organisation mondiale de la santé alerte sur les dégâts dus à l'industrie du tabac : plus d'un milliard de personnes fument encore. Environ 4 500 milliards de mégots sont jetés tous les ans. Cela fait de ce déchet l'un des plus importants au monde. Les experts en retrouvent des traces dans 70 % des oiseaux et 30 % des tortues ; sur les bords de la Méditerranée, 40 % des déchets ramassés sont des mégots, dont certains composants sont toxiques pour les animaux comme pour les plantes. La culture du tabac nécessite beaucoup d'énergie, d'engrais, et 22 milliards de tonnes d'eau. La production annuelle (32 millions de tonnes) contribue à près de 84 millions de tonnes équivalent CO2, soit 0,2 % du total des émissions ; elle serait en outre responsable de 5 % du déboisement mondial. 90 % des cultures sont concentrées dans les pays en développement, où elles concurrencent les cultures vivrières[22].

La culture du tabac a nécessité 3,24 millions d'hectares (32 400 km2) de terres arables dans le monde en 2020[23].

Le séchage du tabac nécessite par ailleurs une grande quantité de bois[24]. Le séchage à l'air chaud nécessite environ 20 kg de bois pour 1 kg de tabac. Ce mode de séchage est le premier utilisé : environ 6 tonnes de tabac sur 10 sont traitées par ce processus. Il entraîne une déforestation importante[3]. Au total, on estime qu'environ 2 à 4 % de la déforestation mondiale est due à la production du tabac, soit 600 millions d'arbres chaque année[25]. Cette proportion s'élève à 5 % dans les pays en développement[24], notamment dans certains pays comme le Zimbabwe[26].

Les mégots de cigarettes sont par ailleurs une source de pollution majeure, notamment pour les cours d'eau.

Économie

La consommation extensive du tabac dans le monde a engendré la constitution de majors d'industrie puissantes.

Le premier producteur mondial de tabac est le monopole chinois China National Tobacco Corporation.

Plus de 70 % du marché hors Chine est réalisé par quatre multinationales aux diverses marques. Ce sont, dans l'ordre décroissant de chiffre d'affaires :

La production de tabac, estimée à près de 7 millions de tonnes, est dominée par la Chine, l'Inde et le Brésil, qui à eux trois réalisent plus de 60 % de la production mondiale. Dans l'Union européenne, les principaux producteurs sont l'Italie, la Pologne, l'Espagne et la Grèce.

En 2010, la manufacture du tabac était dominée par la Chine, la Russie, les États-Unis, l'Allemagne et l'Indonésie[27]. Le tabac est essentiellement utilisé pour la production de cigarettes et de cigares. La production de cigarettes représente l'essentiel de la production et est estimée à plus de 5 000 milliards d'unités en 1993, 5 457 milliards d'unités en 2005.

L’Allemagne, la Bulgarie et la Suisse sont les seuls pays européens où la publicité pour le tabac est encore autorisée dans l'espace public[28],[29],[30]. La Revue médicale suisse relève également en 2015 que « la Suisse est le seul pays européen où la publicité pour les produits du tabac dans la presse est autorisée et, avec la Biélorussie, c’est également le seul pays où il n’existe pas de limitation concernant le parrainage d’événements culturels et sportifs »[28].

Production mondiale de tabac par pays[23]
Pays2010201320162019
Chine3 004 000 t13 373 700 t12 574 000 t12 610 507 t1
Inde690 000 t3765 154 t3759 594 t2804 454 t2
Brésil787 817 t2850 673 t2677 472 t3769 801 t3
Zimbabwe109 737 t9147 068 t6168 974 t5257 764 t4
États-Unis325 764 t4328 208 t4285 180 t4212 260 t5
Indonésie135 700 t6260 200 t5126 728 t7197 250 t6
Zambie94 325 t10106 575 t10133 009 t6153 839 t7
Bangladesh55 288 t1979 000 t1487 628 t13128 597 t8
Tanzanie60 900 t1586 359 t12105 404 t10116 603 t9
Argentine132 870 t7112 348 t893 671 t11106 319 t10
Pakistan119 323 t8108 307 t9115 851 t8104 355 t11
Mozambique66 983 t1476 000 t1592 995 t12102 752 t12
Malawi172 922 t5132 849 t7109 151 t9102 459 t13
Corée du Nord72 000 t1380 000 t1385 374 t1490 702 t14
Turquie53 018 t2093 158 t1174 238 t1570 000 t15
Thaïlande59 540 t1771 586 t1657 384 t1766 780 t16
Laos83 795 t1256 755 t1766 800 t1656 706 t17
Philippines40 530 t2253 753 t1856 457 t1851 061 t18
Italie89 112 t1149 770 t2048 470 t1941 860 t19
Ouganda27 138 t3031 595 t2331 080 t2231 920 t20
Total monde6 983 628 t7 606 700 t6 388 495 t6 685 611 t
Carte des principaux pays producteurs de tabac en 2019.

La production de l'Union européenne est en baisse en raison de la baisse des aides aux agriculteurs producteurs de tabac distribuées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). L'Union européenne importe du tabac en provenance de pays tiers comme le Brésil, le Malawi et les États-Unis. Les aides directes, qui s'élevaient en 2004 à 86 millions d'euros pour la France, pour une production de 24 900 tonnes environ, correspondaient à un taux de soutien nettement plus élevé que pour les autres productions agricoles[31]. Elles ont été réduites à partir de 2006 puis supprimées en 2010 dans le cadre de la réforme de la PAC de 2006. Elles ont été réintroduites en France en 2012 sous l'appellation d'« aide à la qualité ». Cette aide profite à l'ensemble de la production, à l'exception de la dernière catégorie de qualité sur une échelle qui en compte 5. Au total, l'enveloppe allouée à ce soutien spécifique s'élève à 9 millions d'euros par an, alloués entre les producteurs en fin de saison en fonction des quantités produites[32],[33],[34]. Cette aide correspondait à 0,66  par kg de tabac livré pour la campagne 2012[35] et à 1,04  par kg pour la campagne 2013[36]. En , plusieurs pays européens, dont la France (par l'intermédiaire de son ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll), ont défendu une motion auprès de la Commission européenne pour réintroduire des subventions couplées à la production de tabac en Europe[37].

Histoire

Fleurs et fruits du tabac.

Lorsque Christophe Colomb arrive en Amérique en 1492, il constate que les Indiens utilisent le tabac pour ses propriétés magiques et médicamenteuses. André Thevet en rapporte des graines et la culture du tabac commence en Europe. Bartolomé de las Casas commente plus tard cet usage, en précisant que ces tisons « sont des herbes sèches enveloppées dans une certaine feuille, sèche aussi, en forme de ces pétards en papier (a manera de mosquete hecho de papel) que font les garçons à la Pentecôte. Allumés par un bout, par l’autre ils le sucent ou l’aspirent ou reçoivent avec leur respiration, vers l’intérieur, cette fumée dont ils s’endorment la chair et s’enivrent presque. Ainsi, ils disent qu’ils ne sentent pas la fatigue. Ces pétards, ou n’importe comment que nous les appelions, ils les nomment « tabacs » (tabacos). J’ai connu des Espagnols dans l’île Espagnole qui s’étaient accoutumés à en prendre et qui, après que je les en ai réprimandés, leur disant que c’était un vice, me répondaient qu’il n’était pas en leur pouvoir de cesser d’en prendre. Je ne sais quelle saveur ou quel goût ils y trouvent ».

Selon des découvertes récentes, l'usage du tabac remonte à au moins 12 300 ans. Des graines de tabac ont été découvertes près du Grand Lac Salé dans l'Utah, aux États-Unis[38].

Étymologie

Le substantif masculin[39],[40],[41],[42] tabac est un emprunt[39],[42] à l'espagnol tabaco[39],[40],[42], substantif masculin[43] lui-même emprunté[39] à l'arawak[40] de Cuba et Haïti[39] tsibatl, mot qui désignait soit un ensemble de feuilles, soit l'action de fumer, soit surtout le tuyau de roseau dont les Amérindiens se servaient pour aspirer la fumée[42].

Le mot « tabac », désignant à l'origine, pour les Européens, à la fois la plante et le cigare confectionné avec ses feuilles, vient de l'espagnol tabaco, lui-même emprunté à un mot arawak désignant une sorte de pipe, un instrument à deux tuyaux. Il est attesté sous sa forme espagnole depuis la première moitié du XVIe siècle. Les Arawaks, ensemble de peuplades amérindiennes des Antilles et d'Amazonie, possédaient donc probablement un autre mot pour désigner la plante que nous appelons tabac (digo selon l'archéologue Benoît Bérard) ; ce mot est apparu en espagnol par glissement sémantique, le contenant (pipe, instrument) finissant par désigner le contenu (feuilles séchées de la plante) puis la plante elle-même[44].

Origine en Amérique

Les peuples autochtones d'Amérique cultivaient et consommaient le tabac avant l'arrivée des colons européens.

Débuts en Europe

Esclaves travaillant dans un atelier de production de tabac, 1670, Virginie.

En 1492, lors de son expédition en Amérique, Christophe Colomb découvre le tabac[45] et le rapporte en Europe, à la Cour espagnole et portugaise, où il est pendant longtemps utilisé comme simple plante d'ornement. Ce n'est qu'au milieu du XVIe siècle que le médecin personnel de Philippe II d'Espagne commence à le promouvoir comme « médicament universel ». La première description écrite serait le fait de l'historien espagnol d'Oviedo.

Il est introduit en France en 1556 par un moine cordelier, André Thevet qui au retour de son séjour au Brésil, en fit la culture dans les environs de sa ville natale d'Angoulême. On l'appelle alors « herbe angoulmoisine » ou « herbe pétun ».

Dès 1775, les premiers soupçons de relation entre tabac et cancer sont exprimés[46].

Tabagies

Tabagie du roi Frédéric-Guillaume.

Les tabagies (en allemand Tabakskollegium) étaient des réunions réservées aux hommes aux XVIIIe et XIXe siècles pour discuter d'affaires entre eux, en particulier après la chasse. Le roi Frédéric-Guillaume Ier y était très assidu dans son château de Wusterhausen, où il s'entourait de ses proches conseillers, en fumant de longues pipes[47],[48].

Tabac de troupe

K Ration Dinner.

Dès 1917, on voit apparaître le tabac dans les rations alimentaires de l'armée française.

La Ration K, introduite par l'armée des États-Unis le pendant la Seconde Guerre mondiale, était une ration alimentaire quotidienne de combat individuelle contenant des cigarettes.

Notes et références

Voir aussi

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Bibliographie

  • Discours du tabac, où il est traité particulièrement du tabac en poudre. Avec des raisonnements physiques sur les vertus & sur les effets de cette plante, et de ses divers usages dans la médecine. 1re édition : 1668, 2e édition, 1677, 3e édition, Jean Jombert, 1693. Edme Baillard, pseudonyme de Jean Royer de Prade
  • Monographie du tabac comprenant l'historique, les propriétés thérapeutiques, physiologiques et toxicologiques du tabac, par Charles Fermond, Paris : Imprimerie de Napoléon Chaix, 1857 [1]
  • (es) Enrique Margery Peña, Estudios de mitología comparada indoamericana, San José, Editorial Universidad de Costa Rica, , 1re éd., 405 p., poche (ISBN 978-9977-67-739-2 et 9977677395, lire en ligne), « Usos y formas de consumo del tabaco en Indoamérica », p. 3-96
    Histoire : utilisation et mythologie du tabac dans l'Amérique précolombienne
  • Frédéric Bère, ingénieur des manufactures de l'État, conseiller général du Nord, professeur à l'Institut industriel de Lille, Les Tabacs, Paris, Librairies imprimeries réunies, , 275 p. (BNF 30086699, lire en ligne)
  • « L'affaire Ramsès II », Sciences et Avenir, no 441,‎
  • Éric Godeau, Le tabac en France de 1940 à nos jours, Paris, PUPS, 2008
  • Cigarettes : le dossier sans filtre, bande dessinée de Pierre Boisserie et Stéphane Brangier, Dargaud, 2019 (ISBN 9782205079333)
  • (en) Tobacco in History, de Jordan Goodman
  • (en) The Making of New World Slavery, de Robin Blackburn
  • Pour ou contre le tabac ? (Éditions du Sonneur, 2010), recueil d'opinions sur le tabac d'écrivains français de la fin du XIXe siècle (Joris-Karl Huysmans, Pierre Loti, Stéphane Mallarmé, Jules Verne, Hector Malot…)
  • (en) Robert N. Proctor, Golden Holocaust: Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition, 2012
  • Stéphane Foucart, « Les conspirateurs du tabac », Le Monde, (à l'occasion de la publication du livre de Robert N. Proctor)

Articles connexes

Liens externes

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